Retour à l’ergonomie allemande
Alors que Sony sort un modèle 4K grand public, Arri vient de présenter sa nouvelle caméra, la Amira dont les spécificités ont l’air d’être à la fois un pari de ne pas proposer un produit 4K malgré l’émergence de ce marché mais de mettre (enfin) à la disposition d’un public plutôt axé sur la production télévisée, le film institutionnel et le documentaire, une caméra d’épaule ergonomique, dotée d’un capteur de 35mm, d’un workflow simple comme c’est l’habitude chez les allemands délivrant des images en HD ou en 2K jusqu’à 200fps.
J’ai hâte d’en savoir plus sur l’engin et de pouvoir le tester car les 14 Stops de latitude annoncés de son capteur associé au design de la Amira semble pouvoir me séduire pour de nombreux projets. Elle supporte les 3D LUTs afin de donner des « looks » aux images et l’on pourra bien sur en importer depuis un logiciel de color grading et les ajuster aussi en cours de tournage y compris pendant l’enregistrement.
La Amira dispose d’un viseur oled d’une résolution confortable de 1280×1024 pixels qui cache un petit écran LCD de 3,2″ escamotable qui permet la navigation dans les menus. Contrairement à de nombreux concurrents la caméra disposera aussi de filtres nd intégrés et motorisés ainsi que d’un zébra. Côté codecs on pourra faire du Prores dans toutes ses déclinaisons, jusqu’à 4:4:4 en HD sur des cartes CFast 2.0 (une carte CF nouveau genre dont la mise à jour permet une rapidité jusqu’à 450Mbs en lecture, pour 350Mbs en écriture. La caméra hébergera deux fentes destinées à ces cartes et associées à des prises USB pour les décharger. La carte disposera en plus d’un numéro de série et donc d’un support client de la part de son constructeur (SanDisk) qui laisse croire que le consommateur ne sera pas seul au milieu du désert lorsque son médium sans prix renfermant toute une journée de labeur sera incapable de monter ou d’être lue correctement. Si Arri est pour l’instant le seul constructeur à prendre ce chemin il semble que Canon soit tenté par l’expérience concernant leurs caméras et DSLR 4K.
Dans le pur style caméra d’épaule des boutons sont assignables afin d’avoir accès à des réglages rapidement sur le terrain. Et énorme plus aujourd’hui sur ce segment, l’audio est intégré, la Amira enregistre 4 canaux de 24 bits 48Hz via des ports XLR 3 et XLR 5.
On pourra, selon Arri, y connecter toutes les montures PL possédant un connectique 12 pin pour contrôler le diaph automatiquement et l’enregistrement depuis le bouton de la poignée. Et rien ne sera oublié car la monture sera aussi compatible avec la connectivité LDS. Arri assure une compatibilité avec les optiques B4 2/3″, habituelles sur les caméras d’épaule, et EF. Le tout dans un fonctionnement silencieux, moins de 20Db annoncé.
C’est prometteur on attend plus que le prix et la disponibilité car souvent ces deux facteurs tuent un peu le rêve. Bien qu’ici les responsables de Arri s’ils ne dévoilent pas le tarif de vente, s’engagent sur une caméra dont le prix se situera bien en dessous de la Alexa avec qui, elle partage le capteur et le design, de très bonne augure. Comment dit-on « vivement 2014 » ne allemand?
Making of « La société Hezbollah » : Webdocumentaire
Ce blog que j’ai lancé fin 2011 pour suivre l’actualité des technologies du cinéma numérique en me basant sur l’expérimentation sur le terrain, mais aussi quelques billets sur l’industrie et l’histoire du cinéma au Moyen Orient va se transformer pour quelques temps en un « making of » d’un webdocumentaire sur lequel je travaille désormais. Même si le travail effectif n’est pas encore lancé officiellement du fait des vacances et que rien ne sera signé avec les productions et les diffuseurs avant la rentrée je vais désormais rendre compte ici de l’avancée de cette plongée au coeur de « la société hezbollah« .
Le sujet, le traitement et la production de cet objet documentaire, réalisé à base de photographies, de vidéo, d’archives et d’iconographies ainsi que de son et de musique mérite à mon sens que l’on se penche aussi sur les différentes étapes qui vont jalonner le long parcours qui débute aujourd’hui.
Tout d’abord quelques mots sur le fond du documentaire. Il s’agira de plonger au coeur de la société (militants, habitants, cadres, institutions) du hezbollah libanais, à travers quatre de ses « territoires » (le sud liban, la vallée de la Békaa, la banlieue sud de Beyrouth et un quartier de la capitale). Nous passerons en revue tous les aspects de l’action du parti de Dieu depuis sa création, aussi bien sur le plan militaire, religieux, politique, social, économique et culturel. tout cela à travers trois chapitres (l’exercice du pouvoir, la structure et les fondements du parti et enfin l’action militante).
Je rentrerai dans les détails techniques et autres au fur et à mesure du tournage et de l’avancée du projet. J’ai obtenu l’autorisation du Hezbollah après une longue attente et une présentation du projet auprès de leurs institutions dédiées à la presse et à l’information. Et pour les plus septiques d’entre vous je dispose d’une assez grande liberté d’action pour pouvoir travailler au sein de leurs institutions pendant plusieurs mois afin de réaliser un webdocumentaire dense et le plus complet possible traitant de nombreux aspects et questions que suscitent le parti. Comme un signe (positif je l’espère mais j’en doute vue les circonstances et les enjeux) depuis que l’accord à mon égard est intervenu, la branche militaire du parti est désormais « blacklistée » par l’Union Européenne.
Je tournerai avec une Red la partie vidéo (essentiellement des entretiens) ainsi qu’avec un Canon (1DC?) pour les prises de vues photographiques (noir et blanc) et tout cela me donnera l’occasion d’aborder tous les aspects de cette réalisation pas comme les autres de la production à la programmation de ce webdoc en passant par le tournage, les workflows et sa diffusion (prévue en 2014).
A bientôt sur le terrain, vous pourrez suivre aussi l’évolution de cette production sur Twitter @webdochezbollah
La Révolution islamique, la guerre et le cinéma de « défense sacrée ». (Le cinéma iranien, deuxième partie)
Tout d’abord de nombreuses salles vont disparaitre, être fermées ou brulées en cela que le cinéma véhiculerait des valeurs occidentales pour certains révolutionnaires qui veulent faire table rase du passé, des symboles faciles de l’ancien régime. Dès les années 70 de nombreux intellectuels iraniens avaient reprochés au cinéma « l’occidentalisation » forcée de leur pays.
S’il ne reste déjà plus que 300 salles de projection au lendemain la révolution, 1981 marque encore plus la mort d’un certain cinéma. Cette année là 3 films iraniens seulement, seront produits, et la majorité des salles fermeront dans la foulée de l’occupation par les militants révolutionnaires de l’ambassade des États-Unis d’Amérique. Ceci créant une forte baisse des importations de films et une interdiction des films occidentaux et entrainant une forte baisse de la fréquentation des salles.
Pourtant les messages et recommandations de l’Ayatollah Khomeyni semblent ne s’attaquer qu’aux seules oeuvres de propagande. Le Guide Suprême de la Révolution, à cette occasion précisera : »Nous sommes contre les cinémas dont les programmes corrompent nos jeunes et notre culture islamique, mais nous approuvons les programmes édifiants qui aident au développement sain de la morale et de la science dans la société. »
Cette mort n’allait pas durer et la renaissance qui allait lui succéder, si elle était accompagnée de contraintes, allait lui bénéficier sur le plan de la qualité. La jeune république va « nationaliser », et bien sur islamiser le cinéma, qu’elle va l’encadrer et le subventionner.
La législation mise en place dès 1984 précise qu’un film devra désormais être utile à la société et ne pourra pas blasphémer les religions officielles du pays, et devra aussi éviter des idéologies subversives.
Voilà pour la partie écrite, à laquelle viennent s’ajouter de nombreuses règles tacites qui empêcheront le réalisateur, de provoquer de la sympathie pour les personnages de criminel, de créer auprès du public la tentation du péché et notamment celui de la consommation de drogue. Enfin la règle la plus connue restant celle concernant le port du hijab pour les femmes apparaissant à l’écran même lors des scènes tournées en intérieur. En Iran si le voile est obligatoire dans l’espace public, on devrait plutôt parler de foulard le foulard, les femmes sont tête nue une fois au sein de l’intimité de leurs foyers. Les conditions d’un tournage et son mode de diffusion ne permettant pas de correspondre à cette intimité on voit à l’écran des scènes »intérieures » avec des femmes voilées, y compris lorsqu’elle sont dans un lit.
Mais l’étude de la production cinématographique des années 80 laisse entendre qu’il s’agit bien moins d’une renaissance que de l’émergence d’un nouveau cinéma révolutionnaire largement transformé par son époque. En effet lorsque la guerre Iran-Irak éclate, ce nouveau cinéma est encore très fragile et s’il est encadré il faudra aussi que le nouveau régime le soutienne pour ne pas le voir disparaitre. Pour cela, une série de mesures économiques sont prises favorisant l’importation de matériel technique en fournissant des devises étrangères à son industrie cinématographique, mais aussi en la faisant bénéficier de réductions de taxes et d’impots ainsi que d’une redistribution des bénéfices issus des films étrangers en faveur de la production nationale.
En parallèle de cela l’Iran va aussi se doter de structures telles que, le festival de Fajr dès 1982, ou de la fondation cinématographique Fârâbi qui vont devoir aider au développement du septième art et, commémorer ainsi, la Révolution Islamique. Car la jeune république et ses dirigeants sont avant tout désireux de ne pas perdre leur industrie culturelle mais veulent aussi défendre des valeurs et aborder la question de la guerre « imposée » qui l’oppose à l’Irak de Hussein soutenu aussi bien par les occidentaux que par le bloc de l’est. Le cinéma iranien devient alors celui de la « défense sacrée » (Defâ’e moghadas). dont les grandes figures de ce style célébrant le martyr et la résistance sont Mortezâ Avini, Mollâgholipour, Ahmadrezâ Darvish et Hâtamikiyâ.Grâce à ces outils, notamment de financement et de promotion, et contrairement à une idée reçue, les cinéastes iraniens vont pouvoir travailler avec une plus grande liberté.
Ce cinéma est un cinéma d’auteur où le réalisateur est plus indépendant par rapport au système de production et surtout c’est un cinéma sans vedettes, ses acteurs sont alors bien souvent des enfants. En abordant ainsi le monde des adultes le cinéaste se permet une critique de la société dans son ensemble de manière plus poétique. À côté des réalisateurs tels que Hâtami, Mehrju’i, Beyzâ’i ou Kiârostami ou Nâderi (qui sortira « Le coureur » en 1985) va apparaitre une nouvelle génération « révolutionnaire »dont, Kâmbuziâ Partovi, Majid Majidi, Alirezâ Dâvoudnejâd, Rasoul Mollâgholipour, Kiânoush Ayyâri, Siâmak Shâyeghi et Rakhshân Bani-E’temâd font parti.
De cette école de cinéma de guerre vont émerger deux réalisateurs majeurs en Iran :
Tout d’abord Mortezâ Avini, dont le parcours est caractéristique de ce cinéma islamique révolutionnaire. En tant que révolutionnaire, Avini fut d’abord membre de l’organisation de reconstruction urbaine (le Jihad de la construction) qui s’active depuis 1980 dans les villes et villages délaissés jusque-là par l’administration du Shâh. Il réalise alors quelques documentaires puis, dès le début des hostilités il devient sur le front, cinéaste de guerre. Il va alors travailler sur la notion de conquête (au début de la guerre l’Irak envahit l’Iran assez profondément) tout d’abord avec un film, « Fath-e khoun (la conquête du sang) puis avec une série documentaire « L’histoire de la conquête » qui suivra les soldats iraniens durant les huit années du conflit. Les séries « Haghighat » (La vérité) ou « Revâyat-e fath » (Chroniques de la victoire) diffusées pendant la guerre le sont toujours aujourd’hui et restent très populaire en Iran, et font de lui le documentariste le plus connu du pays. Il y restitue le quotidien des combattants, rien n’y est reconstitué, tout est pris sur le vif. Chaque film rend aussi compte de l’importance des pratiques et des rituels religieux sur le front et peut être grâce à ces scènes de prières Avini crée des films qui refusent le caractère urgent et dramatique de chaque situation. Il filme le conflit non pas comme on le voit au cinéma ou pire, à la télévision pour expliquer telle ou telle prise ou perte de terrain. Ses films sont comme hors du temps et le spectateur comprend d’une part que le documentaire n’est pas une simple reproduction de la réalité, qu’il s’agit d’un travail de construction mais plus important son évocation intemporelle de cette guerre pose des « problèmes » d’interprétations aux spectateurs, ce qui est très rare dans le cinéma de guerre, il faut bien l’avouer.
Pour être complet il faut aussi nous arrêter sur le parcours et les films de Ebrâhim Hâtamikia qui abordera aussi le conflit d’un oeil critique en mettant par exemple en scène des mutilés de guerre qui ne trouvent pas leurs places dans une société qui ne reconnait pas leur sacrifice comme ils le mériteraient. De nombreuses séries populaires présentent à l’époque et quasiment en temps réel la réalité du conflit à travers des fictions, des comédies et des documentaires. Quand on pense qu’il faudra plus de 5 ans aux USA pour que son cinéma aborde la guerre du Vietnam (hormis de très mauvais films de propagandes dont « Bérets verts » de John Wayne) et qu’il le fera toujours de manière unilatérale, on peut être surpris de la place que le conflit prend dans la création culturelle dès 1981, sans beaucoup de moyens et, y compris en y mettant en scène des personnages d’irakiens. À ce titre, combien y a t’il de personnages d’indiens dans les westerns, de japonais dans les fresques sur la guerre du pacifique ou d’algériens du FLN dans les films français sur la guerre d’indépendance, hormis « La bataille d’Alger » réalisé par Gillo Pontecorvo 4 ans après la fin du conflit et interdit de diffusion en France pendant 30 ans.
Les documentaires ou fictions iraniennes sur la guerre donnent à comprendre plus qu’à voir et les réponses qu’elles semblent donner au spectateurs sont souvent extrêmement complexes. Ainsi « La frontière » qui est la première fiction sur cette guerre imposée le personnage irakien est souvent filmé en gros plan et finit par faire partie de l’environnement mais plus en tant qu’ennemi. Une l’histoire pas si manichéenne qui laisse le spectateur se questionner sur « l’ennemi ».
Le cinéma Iranien (Première Partie) : Des origines à la Nouvelle vague
L’Iran, devrais je dire la République Islamique d’Iran fait l’actualité de la presse internationale quotidiennement, sur le nucléaire, sur ses élections, ses dirigeants, ses forces armées ou que sais-je encore. Mais, loin de ces clichés, le pays reste mystérieux et souvent incompris. Du fait, bien sur, de son isolement imposé, mais aussi de sa langue (que l’on tend à rendre « incompréhensible » en l’appelant Farsi alors qu’on devrait l’appeler Persan) ou encore de son régime politique. Or, afin de mieux comprendre un pays, sa culture et son histoire, avant d’y voyager, j’aime m’y plonger en lisant quelques livres, de la littérature, des récits de voyages, des ouvrages plus politiques ou géopolitiques voire géographiques tout simplement. Mais lorsque l’occasion se présente, le meilleur voyage « initiatique » reste celui de se plonger dans son cinéma. Et dans le cas présent, le pays possède une histoire riche et profonde, un cinéma moderne qui étonne chaque fois un peu plus. Je me devais, après mon billet concernant Argo, de faire une petite mise au point, qui permettra dans un prochain article de faire un état des lieux de la production cinématographique iranienne.
Le cinéma iranien donc, est né à peine cinq ans après les tout premiers tours de manivelles des frères Lumières à Paris. Le 13 Avril 1900 le roi d’Iran Mozaffar Aldin Shâh Qâdjâr est en visite en France. Il y découvre l’appareil de cinématographie inventé il y peu (qu’il appelle cinémaphotographie dans ses mémoires) exposé à la foire internationale de Contrexéville. Étant accompagné de son photographe officiel, qui ouvrira la première salle de cinéma en 1904 en Iran, il lui ordonne de l’acquérir et de lui en faire une démonstration le soir même. Il est subjugué par le 7ème art et va permettre son développement « relatif » en Iran, en y ramenant ce matériel, de chez Gaumont. La quinzaines de films Pathé, qu’il a rapporté dans ses bagages, se limitent alors à des « scènes de rue »et, le public se satisfait alors de cette pure reproduction du réel dans sa durée, sans commentaires ni montage spécifique. Trente ans après son introduction dans le royaume on dénombrera plus de 2000 films produits et réalisés en Iran, pour la majeur partie des courts métrages d’actualité, mais l’essentiel est là, le cinéma est installé dans le pays.
A l’exemple de ceux tournés par Khan Baba Mo’tazedi qui avait travaillé pour Gaumont en France en tant que cadreur, les films muets de l’époque sont agrémentés de titres ou de commentaires écrits afin de comprendre l’intrigue mais, le public de tradition orale et analphabète pour la grande majorité réclame qu’un commentateur raconte à voix haute l’histoire pendant la diffusion. C’est par le doublage en persan, aussi bien celui fait ainsi lors de la projection que celui venant d’une piste audiophonique que le cinéma va devenir populaire.
Le cinéma Palace va diffuser le premier film parlant en 1931 et il faudra attendre encore deux ans pour que Ardechir Irani réalise « La fille de la tribu Lor » le premier film iranien de l’ère moderne, mais, celui-ci est tourné en Inde, pays qui dispose de plus grandes capacités de production cinématographique. Ce n’est en fait qu’à partir de 1947 que des fictions iraniennes seront effectivement tournées dans le pays qui ne cessera dès lors, de développer son industrie.
Si les années trente ont vu la création des premières écoles mixtes d’acteurs de film (Parvareshgāh-e artist-e sinemā) les films projetés sont encore majoritairement des films d’actualité essentiellement consacrés à la vie passionante du souverain. Puis, dès l’occupation conjointe du pays en 1941 par la Grande Bretagne et la Russie, apparaissent des films de propagande doublés en persan pour faire comprendre à l’opinion publique le point de vue des alliés. Le régime hitlérien ne fut pas en reste dans ce domaine en engageant Esmâ’il Koushân, le speaker de la radio iranienne libre, afin de doubler des films documentaires allemands. Ne pouvant rentrer en Iran du fait de son engagement auprès des nazis il continuera son oeuvre depuis Istambul où il doublera d’abord « Premier rendez-vous » une comédie française de Henri Decoin, qui s’appellera « La jeune fugitive » en version persane, puis, « La gitallina » de Fernando Delgado, connu pour ses scènes de danse, qu’il rebaptisera « La tzigane ». Le 25 avril 1946 à son retour à Téhéran il organisera d’ailleurs une projection de ces deux films pour les notables de la ville. Nous sommes au début d’une période très prolifique d’importation de films étrangers qui seront tous doublés en persan et qui vont rencontrer un succès populaire de l’après guerre jusqu’à la Révolution Islamique et à n’en pas douter la langue persane à jouer un rôle primordial dans ce phénomène.
L’étude de l’histoire cinématographique du pays permet d’en comprendre trois phases essentielles : La première donc, allant des années 30 à la révolution, celle du « film persan », n’étant pas forcément la plus intéressante.
C’est un cinéma de divertissement populaire à l’oriental, utilisant les codes des cinémas indien, turc et égyptien, teinté d’un grand moralisme et reproduisant quasiment à l’identique un scénario, sans aucune emprise avec le réel, dans lequel les danses et les chants succèdent à des scènes de bagarres pour finir par un heureux mariage entre un « Louti » et la femme qu’il a pu sauvé, grâce à ses exploits, de la misère ou de la luxure à laquelle elle était vouée. On y oppose souvent le travailleur des campagnes si pure à d’odieux citadins corrompus.
Cette formule de fil-e fârsi (film persan) marquera pourtant pour longtemps le cinéma iranien car il s’agit des seuls films qui sont diffusés dans le royaume dans les 524 salles en activitées jusque dans les années 70.
Esmâ’il Koushân, toujours lui, fonda dès 1947 la première société de production iranienne, Pârs Film qui sera le principal studio de création jusqu’à la révolution islamique. Il y produit le premier mélodrame parlant iranien « La tempête de la vie » (Toufân-e Zendegi) qui sera annonciateurs du succès de ce style cinématographique dans le pays. L’engouement pour le 7ème art fut tel dans le pays que de nombreuses salles ouvraient en provinces, dans lesquelles on pouvait compter jusqu’à 6 séances quotidienne. Plus de 8 studios de doublage co-existaient dans la capitale, concurrencés par celui de Alex Aghâbâbiân, un arméno-iranien qui depuis l’Italie va doubler de nombreux succès d’origine transalpine.
En 1959 on compte plus de 180 films doublés projetés dans le pays où l’on recense plus de 22 sociétés de production. Cet art du doublage va contribuer au succès populaire du cinéma à tel point que même les films produits en Iran y auront le droit afin de palier aux nombreux problèmes techniques rencontrés lors du tournage, que ce soit par un doublage par les acteurs eux mêmes ou par une post synchronisation par des doubleurs professionnels. Ceux-ci officiaient déjà pour les productions étrangères et notamment les westerns pour lesquels ils faisaient preuve d’un certain talent pour adapter les paroles « exotiques » au contexte local. Il ne faut pas oublier aussi que le pouvoir politique allait trouver dans cet art populaire doublé en persan un moyen de promouvoir une langue officielle commune, dans cette même optique le persan sera utilisé comme langue principale à la télévision iranienne.
Si c’est bien, on l’aura compris, la Révolution islamique qui va modifier définitivement la face du cinéma iranien, il y a eu, ne l’oublions pas, quelques films marquant dès les années 60 jusqu’à l’époque pré-révolutionnaire qui vont enclencher, en quelque sorte cette transformation, un peu à l’image de celle que traverse le pays et ses institutions. Il s’agit là d’une première phase distinctive en cela qu’elle se définit elle même de la sorte. Ce cinéma « différent » (cinemâ-ye motafâvet) apparait donc dans les années soixante. Il s’agit d’un cinéma sérieux ou d’auteur, plus intellectuel dont les réalisateurs sont d’une part des bons connaisseurs de la littérature iranienne et internationale mais aussi du cinéma mondial, de ses codes et de ses techniques, car pour la plupart ils ont fait leurs études à l’étranger. La qualité tant des scripts que de la fabrication des films sur un plan technique s’améliore grandement à cette époque.
la « naissance » du cinéma iranien?
Première figure de cette « nouvelle vague iranienne », le réalisateur Farrokh Ghaffâri qui fut l’assistant de Henri Langlois et va d’ailleurs fonder la cinémathèque iranienne. En 1964 il s’inspire des « Milles et une nuits » pour réaliser « La nuit du bossu » (Shab-e Ghouzi) une comédie qui dénonce l’hypocrisie de la société et qui reçoit les honneurs du public et de la critique notamment de Hajir Dârioush (également réalisateur) qui n’hésite pas à écrire qu’il s’agit là de « la naissance du cinéma iranien ».
Aux côtés de Ghaffâri et de Dârioush on trouve, dès 1963, le poète Fereydoun Râhnamâ réalisateur de « Siâvosh à Persépolis » ou un an plus tard, l’écrivain Ebrâhim Golestân avec « La brique et le miroir« , premier film à s’attaquer à la situation miséreuse des classes populaires mais surtout à dépasser le cliché habituel de l’image de la femme qui, jusque là était soit vertueuse soit impudique, à la manière dont on opposait aussi l’urbain au rural.
Cette période prérévolutionnaire voit aussi la création de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (Kânoun), un centre éducatif et artistique dont la section cinéma accueille notamment Bahrâm Beyzâ’i ou Abbâs Kiârostami. Ce dernier va y réaliser de nombreux courts métrages dont « Le pain et la rue » en 1970 ou « La récréation » l’année suivante.
Deux films vont particulièrement marquer les iraniens et les messages qu’ils véhiculent ne sont surement pas étrangers à leurs succès populaires : « Gheysar » de Massoud Kimiâi et « La vache » (Gâv) de Dârious Mehrju’i, une adaptation d’une nouvelle éponyme de l’écrivain Gholâmhossein Sâ’edi. Les deux films, à leurs manières, sont des appels à un changement de régime et une critique forte du déshonneur de la société.
Les années 70 verront apparaitre beaucoup de chef d’oeuvres du cinéma iranien dont certains sont notamment des hommages au cinéma français et à sa nouvelle vague et qui obtiendront des récompenses internationales. Ainsi « Les Mongols » de Parviz Kimiâvi ou « Un simple événement » puis « Nature morte » de Sohrâb Shahid-Sâles (Ours d’argent à Berlin en 1975) succèdent aux autres créations de Kimiyâi « Rezâ le motard » puis « Dâsh Akol« , ou celle de Mehrju’i « Monsieur naïf » et enfin l’excellent « Adieu camarade » de Nâderi.
Cette « nouvelle vague » iranienne est le fait de quelques réalisateurs qui vont quitter le syndicat officiel de la profession, mis en place dès 1964 pour créer, le groupe des réalisateurs progressifs. Et si l’on devait n’en garder qu’un pour comprendre la société iranienne de l’époque prérévolutionnaire ce serait surement « La tranquillité en présence des autres » réalisé en 1974 par Nasser Taghvâ’i. Le film, qui sera censuré et interdit pendant quatre ans, une adaptation d’un nouvelle de Sâ’edi, raconte la déshérence d’une famille et de son entourage qui sombre dans la débauche à l’image de l’Iran de l’époque. Désormais la censure et l’ambiance politique marquent non seulement un déclin dans la production cinématographique (malgré les sorties du « Cercle » de Mehrju’i en 1978 ou un an auparavant des « Endoloris » de Ali Hâtami) mais c’est en fait à la mort « d’un certain cinéma » iranien que l’on assiste car celui qui va lui succéder après la révolution sera bien différent.
Cette période aura vu la réalisation de près d’un millier de film se réclamant de cette nouvelle vague, dont un grand nombre sont surement des chefs d’oeuvres malheureusement inconnus en occident.
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