Je racontais dans des billets précédents comment le cinéma et sa diffusion en salle se tirait une balle dans la jambe en projetant des films en 3d relief ou pas (au scénario et la réalisation souvent sans relief) dans un format numérique grâce à des projecteurs 2K très proches de fait de la qualité des meilleurs écrans de télévisions actuels et bien en deçà des futurs dalles 4K.
En effet cette future norme appelée UltraHD (sur la base d’un Codec H265) semble, d’une part marquer une étape décisive dans nos standards de tournage et de diffusion, mais aussi, rendre obsolète ces projecteurs 2K dans lesquels les salles auront investi de larges sommes pour se mettre à jour sans que ce matériel puisse être amorti ni même diffuser dignement les classiques qui ne seront pas numérisés (ou numérisés dans une autre norme). Ni même concurrencer un futur homecinéma. Car sur ce terrain là les salles obscures semblent prendre le chemin des laboratoires (qui ne restaurent, ni ne numérisent les films sur celluloïd qui, pourtant, représenteraient un réel marché). Et pendant ce temps, de nombreux acteurs de notre métier, de la captation à la diffusion, préparent des outils de tournage en 6K et des moyens de diffuser ces images sur des téléviseurs 4K (Si bon nombre de constructeurs de dalles LCD, Plasma ou Oled proposent déjà des écrans 4K, RED devrait aussi officialiser son projecteur et son diffuseur de contenu en 4K au prochain NAB) voire du téléchargement du contenu dans ce format d’ici deux ans tout au plus, si l’on en croit les dernières déclarations de Neil Hunt (chef de produit chez Netflix). On dit à se propos qu’il ne se vendra en 2013 que 2,6 millions de téléviseurs 4K, une « goutte d’eau » qui pourrait vite faire déborder le vase de notre petit monde.

Car la donne changera aussi, on l’a vu en contre exemple avec la 3d relief, lorsque des contenus en quantité et en qualité suffisantes seront à disposition du public. Et à ce titre là l’internet pourrait aussi révolutionner nos habitudes. Les quelques problèmes techniques encore présents aujourd’hui, notamment ceux liés au coût d’utilisation de bandes passantes qui opposent Free, Google, Youtube, Apple et autres, pourraient, en effet, trouver, très vite, une solution à travers l’installation de fermes de serveurs chez les opérateurs eux mêmes, qui serviront de point de distribution de ces contenus.
Cette technologie appelée Open connect va permettre une baisse des couts de ce moyen de diffusion et également une meilleure qualité et vitesse de téléchargement pour le client de ces réseaux privé, payants et pour l’instant strictement occidentaux voire anglophone. Pour l’instant, la France n’est pas concernée par le projet Netflix qui n’est pas accessible depuis l’hexagone. Une fois cette question épineuse, des couts, réglée, et celle de la rétribution des auteurs légaux de ces contenus. A ce titre l’accord récent entre la Sacem et Youtube semble indiquer que tous les acteurs de l’industrie reconnaissent la viabilité de cette diffusion et donc que ce concurrent déloyal qu’était l’internet est bel est bien rentré dans la cour des grands diffuseurs. Si d’ici un an ou deux comme l’annonce Netflix celle-ci est effectivement capable de diffuser en streaming un épisode d’une future saison de House of cards (David Fincher) par exemple, dans le format d’origine de tournage, à savoir du 4K (depuis une Epic de chez Red), alors on aura effectivement fait un grand pas technologique, un saut qui créera un grand vide entre cette diffusion et celle proposée par les cinéma ayant du investir il y a peu dans le 2K.

Dès lors, quid de ces salles de cinéma, si les contenus sont disponibles sur ces réseaux plus rapidement, de manière moins onéreuse et surtout dans une meilleure qualité et partout en même temps. La fin des labos et la fin de l’apprentissage des métiers liés à la pellicule dans les écoles de photographie et de cinéma et dans les formations techniques notamment celle de projectionniste, tous ces facteurs indiquent que les salles de cinéma ont bien un grave souci à affronter sans disposer d’armes adaptées à cette menace bien réelle. Car elle seront à armes inégales dans la diffusion d’oeuvres récentes et incapables de rediffuser des « classiques » sur pellicule.
L’industrie devra aussi délivrer des films disposant d’une meilleure qualité de tournage et se mettre d’accord sur les formats « intermédiaires » afin de remplacer le, déjà totalement obsolète, 1080P même à près de 100Mb/s en MPEG-2 ou H264. Que personne ne va regretter j’en suis sur.
Sans parler que les premiers tâtonnements sur les hautes fréquences d’images (48 ou 60 voire 120P ) doivent aussi trouver une norme commune afin de s’adapter au matériel à venir (le HDMI est incapable de diffuser à 120P aujourd’hui).
Le prochain NAB devra surement nous apporter quelques outils en développement que nous utiliserons après demain mais en espérant aussi que nous n’aurons pas besoin d’investir tous les deux ans pour satisfaire aux avancées technologiques un peu comme nous changeons de téléphone portable aujourd’hui pour simplement pouvoir appeler comme en 1998 mais avec un firmware à jour et de nombreux « avantages » couteux.

Pour appuyer ce propos et à la fois défendre paradoxalement le métier traditionnel qui est le notre, je vous invite à aller voir en salle, Samsara de Ron Fricke, qui a su capturer, comme l’avait fait le premier opus, Baraka en 1992, la beauté du monde. De manière peut être plus urbaine, Samsara visite ansi 25 pays lors d’un tournage qui a duré plus de cinq ans grâce à une caméra Panavision HSSM 5 perf-65mm. Et, il y a beaucoup à méditer du choix de tourner en pellicule de la part du réalisateur. En effet, en 2006 seule une caméra numérique était capable de 4K, la Dalsa, encore à l’état de prototype et la caméra utilisée sur Baraka (todd-AO AP 65) n’était plus elle, disponible. Dès lors, le choix judicieux de Fricke se portera sur une caméra construite à la main, en 1959, selon une technologie haute vitesse Mitchell datant de 1930. En pratique pourtant les réalisateurs ne dépasseront guère 48 images par seconde sur cette antiquité capable de monter à 72im/s, dont le viewfinder sera tout de même modifié pour apporter un plus grand confort moderne au caméraman. Ils durent modifier de manière artisanale les magasins de la pellicule et affronter des altitudes ou des températures extrêmes pour ce long tournage et dans les quelques rares occasions où la caméra tombait en panne ils la répareraient eux même sur place.Une pratique que l’on est plus prêt de trouver lors de nos tournages.
Enfin le résultat final fut scanné à 8K sur un Imagica 12K Bigfoot 65mm (200 Mo/image) et « réduit » à 4K pour les effets spéciaux et la diffusion dans ce format au sein d’un réseau nord américain disposant de 11.000 salles acquises à ce format numérique, en europe et notamment en France bon nombre de salles sont je le disais équipées en 2K. Tout en sachant que rares seraient les salles capables de proposer le film dans son format d’origine pourtant splendide.
3 avril 2013 | Catégories: Cinéma, industrie, Raw | Tags: 12k, 2K, 35mm, 3K, 48fps, 4K, 5 perf, 5K, 65mm, 72fps, baraka, david fincher, epic, h265, hfr, house of cards, neil hunt, netflix, Panavision HSSM, red epic, Ron Ficke, salle de cinéma, Samsara, scanne 8k, télévision 4K, todd ao ap 65, ultra hd | Poster un commentaire
L’actualité des salles et des sorties cinéma a su faire le point au moment du festival de Cannes et à la lecture de quelques études voilà un triste constat.
Je rappelle donc que je parlais de la mort des laboratoires français spécialisés dans le traitement des bobines de polyester que l’on appelle film. Ainsi le groupe Quinta et sa filiale LTC licenciait ses 150 salariés au prétexte de l’évolution de la profession et du passage autour numérique qui rendait son activité inutile et de toute façon déficitaire (du fait aussi des lourdes factures en suspend de la part des principales productions françaises).
En parallèle de cela on nous promettait une baisse des couts de copie des films grâce qui devait permettre une plus large diffusion. Effectivement on devait passer de 1000€ à 100€ par copie. Pourtant toutes les études nous montre que les couts réels semblent être bien différents. Ainsi le prix d’une copie numérique semble plutôt se situer entre 100 et 200€. Mais surtout à cela vient s’ajouter le prix du projecteur numérique, qui en plus de limiter la diffusion à du petit 2K nécessite un contrat de maintenance qui jusqu’alors était la fonction du projectionniste. Les lampes de ces projecteurs dont j’ignore le prix, doivent être changées tous les 7 ans contre 30 ans du temps du 35mm. Enfin il a fallu aux salles de projection envisager de nombreux travaux (climatisation, agrandissement, tableau électrique, raccord ADSL voire installation d’une antenne satellite) pour se mettre aux normes et je ne parle pas là de vouloir passer à de la diffusion 3D stéréoscopique.

Me basant sur des études européennes indépendantes mais surtout sur celle commandité par le lobby des diffuseurs aux USA (Motion Picture of America) il ressort que le cout moyen par salle se situerait autour de 80.000 euros (le seul cout du serveur et du projecteur 2K serait de 60.000 Euros). On comprend par avance que les petites structures n’auront jamais un telle somme à disposition pour investir dans la diffusion de films, ce qu’elles faisaient déjà depuis fort longtemps avec la technologie mécanique du 35mm. Les grands multiplexes bien aidé par la vente de popcorn et les films à succès pourront eux faire le grand saut et l’objectif du tout numérique pour 2014 sera donc tenu peu importe les résistants ou les moins fortunés. Ainsi le groupe Pathé qui détient 740 écrans en France serait en train d’investir 150 millions d’euros pour la production et la rénovation de salles soit plus de 200.000 Euros par salle.
De cette « numérisation à marche forcée » dont parlait les Cahiers du Cinéma en juillet 2011 on voit aussi que l’ensemble des débats a été épuré des questions de qualité de projection. Quid des projections en 4K et 8K pour se hisser au même niveau de résolution que le 35mm? Quid des choix sur la nature et la qualité des écrans, de la luminescence des projecteurs… Mais surtout pas un mot sur le fait que la seule solution d’archivage proposée par ce nouveau système sera… une copie 35mm. Du moins en France où cette opération est encore nécessaire pour le dépôt légal par le CNC.
S’ajoute encore une question celle des choix de programmation et des mesures de rétorsions de la part des distributeurs qui via le système de téléchargement et surtout la clé d’activation du film numérique (KDM Key delivery message) qui met en place un moyen de vérification et contrôle des heures et du nombre de projection par la salle.
En effet si le distributeur a su se placer dans une position de force mais aussi instaurer un nouveau modèle économique à son avantage et créant ainsi un nouvel acteur, à deux têtes le tiers collecteur ou le tiers investisseur (entité économique qui permet le financement d’une installation numérique et qui redistribue aux exploitant les « Frais de copies virtuels » (VPF) qui sont le fruit d’une part des économies que les distributeurs réalisent eux lors du passage au numérique (copie physique, transport, stockage…)

On a vu se créer des intermédiaires qui ont pu bénéficier de cette manne financière de redistribution mais aussi dans bien des cas notamment en France des aides publiques nationale ou régionale qui vont aussi tenter de permettre cette transition technique aux 5.400 salles de cinéma du pays (ce qui place la France au quatrième rang mondial derrière les USA, l’Inde et la Chine) diffusant 575 films pour les seules sorties de l’année 2010.
Le cas de la France est un peu à part et, sans rentrer dans le détail, on peut dire ici que l’Europe s’est faite sans harmoniser du tout « son » cinéma. Ainsi l’on va de la Norvège où la grande majorité des salles sont municipales, à l’Allemagne qui aide la production par notamment, une taxe spécifique sur le chiffre d’affaire des exploitants, à l’Espagne qui dans le domaine est très peu portée sur l’aide à la création et à la diffusion d’oeuvres qui ont surtout du succès à l’étranger. Pourtant tous ces pays vont passer d’ici à 2014 au tout numérique et tous vont avoir recours aux intermédiaires et aux distributeurs pour se mettre aux normes décidées par ces derniers.
Il existe bien sur de nombreux moyens pour restructurer ce secteur, mais les règles de la concurrence étant valables partout et pour tous, ce ne furent pas les projets de mutualisation ni même celui favorisant le recours à des logiciels libres qui finiront par être choisi. Ces institutions privées et plutôt spécialisées dans le seul financement vont dès lors jouer un rôle prépondérant auprès de l’industrie du film. Si l’on peut noter la grande rapidité avec laquelle s’est mise en place ce nouveau « champ organisationnel », il faut surtout y voir une opportunité économique d’un coté, aidé sur le plan « technique » par le mythe de la 3D stéréoscopique et du tout numérique relayés notamment par des leaders d’opinion qui ont su argumenter les avantages supposés (souplesse, innovations, facilités, coût…) du tout numérique en oubliant de préciser le sort réservé aux professionnels, (un projectionniste sera désormais un « téléchargeur » en charge de 4 à 10 salles), aux petites salles, aux films 35mm et à l’archivage de ces supports numériques estimés tout au plus à 5 ans selon les normes actuelles de l’industrie.

Amusant, lorsqu’après un tel bilan, on à la chance de lire une interview de Christopher Nolan, qui refuse de passer, lui, au numérique lors de ses tournages préférant le 35mm voire le procédé IMAX qui malheureusement seront bien à l’étroit dans une salle équipée selon la norme 2K. Vous me direz que Sony vient d’annoncer un projecteur 4K (SRX-515) permettant la 2D ou la 3D et étant compatible avec les futurs films tournés à 48 images par seconde? Oui mais à ce jeu là que deviennent les salles déjà équipées, elles rachètent un projecteur tous les deux ans lorsque l’industrie du film change de format de tournage?
Ah oui j’oubliais dans les avantages que les lobbys ont su nous vendre pour accueillir le mirage/miracle du numérique, l’un d’entre eux fut que les programmes d’avant séance seraient alors plus faciles à diffuser selon les heures et les films, le public concerné… J’ai cru un instant qu’ils parlaient de courts métrages comme au temps de mon enfance, mais je pense qu’il s’agissait en fait de publicité ciblée. Naïf que je suis.
19 juin 2012 | Catégories: 3D Relief, Cinéma, industrie | Tags: 2K, 35mm, 3d, 3K, 4K, 5K, cinelia, cnc, emmanuel hiriart, fcv, kdm, laboratoire, LTC, multiplex, passage au numérique, projecteur, projection, projectionniste, quinta, salle de cinéma, téléchargement légal de film, vpf, ymagis | Poster un commentaire
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