Emmanuel Hiriart- Directeur de la Photographie

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Retour à l’ergonomie allemande

Alors que Sony sort un modèle 4K grand public, Arri vient de présenter sa nouvelle caméra, la Amira dont les spécificités ont l’air d’être à la fois un pari de ne pas proposer un produit 4K malgré l’émergence de ce marché mais de mettre (enfin) à la disposition d’un public plutôt axé sur la production télévisée, le film institutionnel et le documentaire, une caméra d’épaule ergonomique, dotée d’un capteur de 35mm, d’un workflow simple comme c’est l’habitude chez les allemands délivrant des images en HD ou en 2K jusqu’à 200fps.

J’ai hâte d’en savoir plus sur l’engin et de pouvoir le tester car les 14 Stops de latitude annoncés de son capteur associé au design de la Amira semble pouvoir me séduire pour de nombreux projets. Elle supporte les 3D LUTs  afin de donner des « looks » aux images et l’on pourra bien sur en importer depuis un logiciel de color grading et les ajuster aussi en cours de tournage y compris pendant l’enregistrement.

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La Amira dispose d’un viseur oled d’une résolution confortable de 1280×1024 pixels qui cache un petit écran LCD de 3,2″ escamotable qui permet la navigation dans les menus. Contrairement à de nombreux concurrents la caméra disposera aussi de filtres nd intégrés et motorisés ainsi que d’un zébra. Côté codecs on pourra faire du Prores dans toutes ses déclinaisons, jusqu’à 4:4:4 en HD sur des cartes CFast 2.0 (une carte CF nouveau genre dont la mise à jour permet une rapidité jusqu’à 450Mbs en lecture, pour 350Mbs en écriture. La caméra hébergera deux fentes destinées à ces cartes et associées à des prises USB pour les décharger. La carte disposera en plus d’un numéro de série et donc d’un support client de la part de son constructeur (SanDisk) qui laisse croire que le consommateur ne sera pas seul au milieu du désert lorsque son médium sans prix renfermant toute une journée de labeur sera incapable de monter ou d’être lue correctement. Si Arri est pour l’instant le seul constructeur à prendre ce chemin il semble que Canon soit tenté par l’expérience concernant leurs caméras et DSLR 4K.

Dans le pur style caméra d’épaule des boutons sont assignables afin d’avoir accès à des réglages rapidement sur le terrain. Et énorme plus aujourd’hui sur ce segment, l’audio est intégré, la Amira enregistre 4 canaux de 24 bits 48Hz via des ports XLR 3 et XLR 5.

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On pourra, selon Arri, y connecter toutes les montures PL possédant un connectique 12 pin pour contrôler le diaph automatiquement et l’enregistrement depuis le bouton de la poignée. Et rien ne sera oublié car la monture sera aussi compatible avec la connectivité LDS. Arri assure une compatibilité avec les optiques B4 2/3″, habituelles sur les caméras d’épaule, et EF. Le tout dans un fonctionnement silencieux, moins de 20Db annoncé.

C’est prometteur on attend plus que le prix et la disponibilité car souvent ces deux facteurs tuent un peu le rêve. Bien qu’ici les responsables de Arri s’ils ne dévoilent pas le tarif de vente, s’engagent sur une caméra dont le prix se situera bien en dessous de la Alexa avec qui, elle partage le capteur et le design, de très bonne augure. Comment dit-on « vivement 2014 » ne allemand?


Mise à jour du capteur Red Dragon 6K (un goût de noël avant l’heure, mais après tout c’est l’Aïd)

Difficile de s’en tenir au seul « making of » comme annoncé dans le précédent billet lorsque Red annonce la sortie, ou plutôt la mise à jour de son capteur Dragon 6K. Alors voilà quelques détails techniques pour faire saliver ceux qui seraient sur les rangs pour passer ce cap réservé aux seules Epic, la Scarlet et en effet limitée dans cette mise à jour, à 5K pour un maximum de 60 ips, surement pour justifier des différences de prix et un placement marketing (je rappelle que les limitations de la Scarlet sont en effet purement liées au logiciel interne).

Tout d’abord le dernier né des capteurs de chez Red est donc un 6K 6144 (h) x 3160 (v), soit pour ceux qui auraient comme base du HD (1920×1080), 9 fois plus de résolutions. L’idée est simple, on se rapproche d’une part de la qualité du 35mm et surtout on a un format plus grand que celui de la diffusion qui semble se diriger vers le 4K aussi bien dans les salons que dans les meilleures salles de projection publiques.

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Le capteur de 19 millions de pixels permettra même de filmer en 6k à une cadence de 100 images par secondes (120 ips à 5K, 200ips à 4k et 300ips à 2K), un peu comme si votre meilleur appareil photographique avait une fonction rafale de cette puissance (le mien ne fait guère mieux que 12 images par seconde) et que vous puissiez en plus éditer cela en tant que fichier vidéo Raw mais selon le codec R3d qui permet une compression pas inutile lorsque l’on passe à la gestion des fichiers en post-production.

comme l’on parle de procédé Raw et donc d’un traitement de l’image, de sa débayérisation non pas dans la caméra mais par un ordinateur il vous faudra aussi penser à investir dans une carte permettant ce calcul plus rapidement et pour cela Jannard le patron de Red a annoncé aussi une nouvelle RedRocket X cinq fois plus rapide que le premier modèle, ainsi qu’une version de RedCine-X Pro encore améliorée.

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Pour en revenir aux détails techniques du capteur, il dispose et c’est là la vraie nouveauté et l’énorme amélioration d’une sensibilité efficace de 250 jusqu’à 2000 ISO et d’une plage dynamique de 16,5+ stops. en fait le capteur gagne plus de 3 stops de dynamique par rapport à son prédécesseur, un dans les hautes lumières et deux dans les noirs. L’avantage est que l’on peut se retrouver dans des situations extrêmes de contre jour ou de différentiel d’exposition dans une même scène sans pour autant perdre des informations dans les parties sombres ou trop éclairées.

On pourra dès lors aussi pousser un peu plus la sensibilité en post production comme au tournage, selon les premiers essais il semble que des valeurs autour de 4000 ISO ne provoquent pas autant de bruit que l’on pourrait s’y attendre. Donc en parallèle on pourra aussi compresser un peu plus l’image mais obtenir un résultat comparable à une compression faible en utilisant le capteur MX. On parle ici d’une équivalence entre du 17:1 avec le Dragon et du 8:1 avec une Red MX sans affecter les teintes,les nuances, les noirs ou les blancs. On peut pousser cette compression de 3:1 à 18:1 en 12 ou 16 bit Raw.

La caméra (brain only) set annoncé à 29.000$ quand la mise à jour pour les possesseur d’Epic X ou M coutera un peu moins de 10.000$.


Comprendre le Raw, au début était la courbe de Gamma

De plus en plus de caméras « Raw » font leur apparition sur  le marché, de quoi faire perdre la tête à pas mal de production, à quelques heures/jours/semaines/mois de la sortie tant attendue du capteur Dragon de chez Red. Voilà donc tout un petit billet pour s’y retrouver dans cette jungle révolutionnaire, on y parlera technique et courbe de Gamma dans un premier temps avant de faire un état des lieux de l’offre réelle de ce marché en question, pour voir ce que va changer la dernière née de chez Jim Jannard. Mais en guise d’introduction, après les déboires passagers de Aaton, me vient une nouvelle de mes amis de Ikonoskop qui annoncent arrêter un temps leur production, après maintes chutes des prix de leur petite caméra, les voilà peut être eux aussi face à un problème financier de trop.

 

A l’origine, le signal d’une télévision, et donc de sa capacité à recevoir de l’information par onde, nécessitait de réduire au maximum les informations produites par la « large » plage dynamique d’une image issue d’une caméra. Il faut comprendre que la bande passante transportant ces informations est limitée dès 1930 et dans les décennies qui suivent l’invention de la télévision hertzienne.

A chaque ouverture d’un diaph supplémentaire par exemple on double la luminosité par rapport au diaph précédent. Donc, en parallèle, on devrait doubler la bande passante requise pour transférer (ou enregistrer) le surplus d’information obtenu. Mais en pratique la bande passante n’évoluera pas, elle est en faite constante et déjà à son maximum.

La mauvaise qualité de cette méthode de transmission télévisée sans intervention aurait abouti à ne transmettre qu’une petite bande ou partie de cette plage dynamique de l’image.Le choix se porta donc, sur la réduction d’information. Et pour conserver une image diffusible et acceptable, on choisi de sacrifier les hautes lumières tendant ainsi à préserver les noirs et les tons moyens, ceux du visages. On comprendra qu’en télévision le plus important était donc le sujet et que l’on pouvait sacrifier l’arrière fond sans pour autant transformer dramatiquement l’image de base ainsi diffusée.

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Voilà comment et pourquoi apparu la courbe gamma dont le travail consiste à préserver la lecture d’une image en réduisant les données des seules hautes lumières d’une image enregistrée ou diffusée, et donc en maitrisant la bande passante . Cette courbe s’ajuste au fur et à mesure de l’ouverture du diaph pour compenser cet afflux de données et donc faire disparaitre du même coup tout un tas d’informations dans les blancs, pourtant nécessaires à la lecture des éléments les plus clairs. Les noirs et les skintones, eux, ne sont pas vraiment concernés par l’opération et à force de s’habituer à ces amputations de l’image l’oeil finit par dire qu’il n’y voit pas de différence, bref, c’est diffusible sur le ondes.

Toutes les caméras vidéos utilisaient alors ce système de compression du signal qui empêchait y compris en post production de récupérer les informations perdus lors d’une surexposition sur un visage ou un ciel. Problème, les caméras gardaient le même système de compression et d’enregistrement alors même que leurs capteurs gagnaient eux en dynamique. Résultat, on perdait encore plus d’informations pour respecter la bande passante maximale du procédé d’enregistrement ou de diffusion. Paradoxalement plus les capteurs devaient restituer tout un plan des noirs au hautes lumières, plus on compressait ces dernières et plus le travail en post production devenait impossible du fait de la perte plus importante d’informations dans cette partie de l’image. On préférait donc une caméra ayant une moins grande dynamique d’image mais qui de fait la détruisait moins une fois gravée sur son support. Le mieux techniquement n’était pas l’ami du bien.

 

L’évolution nécessitait alors de se détourner ou de contourner cette courbe de Gamma afin de profiter pleinement des capacités des capteurs disposant de plus grandes  plages dynamiques. C’est là qu’entre en jeu le filtre de Bayer (même si la technique aboutissant au Raw n’est pas limité à un seul type de capteur), il s’agit d’un seul capteur qui dispose d’un filtre lui permettant de reproduire le plus fidèlement possible les couleurs de l’image captée en bénéficiant de toute la dynamique de l’image.Le système consistant alors à convertir les informations de lumière en un signal vidéo couleur. Le processus multiplie l’information de lumière en la traitant pour chacune des couleurs primaires. La multiplication de traitement qu’opère ce filtre, composé de rouge, de vert et de bleu, n’est pas réalisée de manière égale en cela que les filtres verts sont deux fois plus présents que leurs homologues bleus ou rouges, afin de reproduire une image qui correspond le mieux à ce qu’un oeil naturellement.

 

Mais à nouveau après ce traitement arrive le problème de bande passante, car concernant un capteur de 4K, soit 4096×2160 pixels il faut enregistrer plus de 8 millions d’informations (8,8 millions pour être précis) à chaque image capturée. D’autant plus que si le traitement doit s’effectuer à ce moment là, il faudrait encore le répéter pour chacune des couleurs primaires qui divisent l’information et transforme la lumière en couleur. Soit un total après traitement de 26,5 millions d’informations par image.

L’idée du Raw suppose une simplification de ce traitement qui normalement vient en plus s’enrichir des ajustements fait par la caméra ou l’utilisateur au moment de l’enregistrement, tels les balances des blancs et les choix de gain qui pourtant n’affectent pas la manière de travailler pour le capteur. Car quelque soit le réglage utilisateur pour reproduire l’image qu’il voit et qu’il veut diffuser seul compte la quantité de lumière qui vient frapper le capteur et se transformer en signal vidéo couleur (RVB) qui sera ensuite modulé (ou mixé) en fonction du gain ou du degré Kelvin choisi et aboutira à une image plus ou moins bleu, verte ou rouge et plus ou moins « lumineuse » après traitement.

 

 

 

Le Raw consiste donc à ne pas traiter de la sorte le signal mais à le conserver dans l’état qu’il connait au sortir du capteur et donc à ne pas dé-Bayériser, et donc à ne pas utiliser une courbe Gamma. La somme de données informatiques est donc moins considérable que si l’on procédait à tout ces ajustements ou traitements, et permet de ne pas le « compresser ». Pour ce qui concerne les caméras, photo ou vidéo, dédiées au seul noir et blanc (Ikonoskop, Red, Leica M) là aussi le procédé consiste à simplifier le traitement en retirant le filtre de Bayer, qui nous l’avons compris ne sert qu’à injecter des informations de couleurs dans le traitement de la lumière reçue par le capteur. Cela rajoute du piqué et de la définition à l’image monochrome qui dispose de tous ses capteurs pour travailler sans être déformée par l’effet de Bayérisation. Le traitement étant extériorisé les premières Red ne pouvaient même pas relire leurs propres images, et l’utilisation d’une carte vidéo RedRocket est fortement conseillée pour pouvoir lire et transcoder ces images. Cependant les capteurs agrandissant leurs diagonales se voient aussi améliorés dans leurs capacités à capter les hautes lumières. en un mot il est maintenant utile d’avoir une très grande plage dynamique de l’image. C’est ce que le capteur Dragon de chez Red nous promet avec plus de 20 Stops de dynamique.

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Pourtant on devra toujours passer par l’étape de dé-Bayerisation pour lire cette image, ce temps de traitement et de calcul est donc repoussé à plus tard. Mais on pourra aussi y ajuster le gain, ou la balance des blancs en fonction de ses propres choix. D’autant plus, rappelons le, que désormais on dispose des informations totales de l’image dans les noirs, les skintones ou les hautes lumières. Mais à ce niveau là il faudra encore choisir entre caméras disposant d’un très large capteur, celles proposant du Raw, ou du DNG, entre celles disposant d’un encodage parfois médiocre en interne mais offrant d’autres possibilités en externe, ou compressant de manière habile les fichiers afin de pouvoir réduire aussi les couts en post production, stockage et autres sans pour autant nuire réellement à l’image vue par un oeil humain. Le RedCode est le seul procédé connu et autorisé à ce jour qui permet de réduire les données de ces images Raw (Red est le seul à posséder la licence Raw pour la vidéo, les autres ne le font qu’à travers du CineDNG ou un « Raw » Maison comme Sony ou Arri. Il permet un taux de compression plus ou moins variable afin de ne pas se retrouver avec des Téra-octects de données pour un film de 5 minutes. On revient sur cela dans un prochain billet.

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Le cinéma iranien, troisième partie : entre reflet de la société et outil diplomatique.

En plus d’avoir pour décor les magnifiques et très variés paysages d’Iran il arrive parfois que le cinéma s’intéresse aussi à ces populations périphériques ou minoritaires, les kurdes pour « Un temps pour l’ivresse des chevaux » ou les tribus nomades du sud-est du pays (L’Iran est le deuxième pays au monde en nombre de nomades après la Mongolie).  Ou, comme le fit Mohsen Makhmalbâf avec « Gabbeh« en 1995 en suivant les tribulations d’une tribu Qashqâ’is (leurs noms aujourd’hui est malheureusement associé à un modèle de voiture Nissan). Il raconte une histoire d’amour entre une jeune fille et un cavalier, mais avant tout, fait de ce mode de vie une oeuvre à part entière. Un peu comme avait tenté de le faire en 1925 Merian C.Cooper (qui réalisera « King Kong » en 1933) le réalisateur originaire de Floride fait de « Grass » une oeuvre à mi-chemin entre l’ethnographie, le documentaire et le journalisme. Il y suit la transhumance des Bakhtiâris, véritable force politique dans l’Iran d’alors, cette tribu très hiérarchisée et liée aux intérêts étrangers notamment aux compagnies pétrolières anglaises, ce que l’auteur semble ignorer en voulant partir avec sa caméra à la rencontre d’un « peuple oublié ». Malgré ces erreurs, et loin des effets spéciaux, du Cinérama ou du Technicolor, qu’il utilisera pus tard, ce document noir et blanc, muet, filmé dans des conditions extrêmes et montré sur une musique traditionnelle persane est alors loin des clichés hollywoodiens qui seront plus tard servis sur l’Iran.

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Encore une fois, et surement signe de sa grande vitalité, la cinéma iranien va muter. Il était jusque là un cinéma d’auteurs, subventionné, dont les personnages était souvent des enfants, et va devenir un cinéma de productions privées et surtout de vedettes (qui vont contribuer à l’essor de l’industrie qui se maintiendra pourtant toujours à l’écart du cinéma commercial d’avant la révolution).

Lors de cette mutation apparaissent de nouveaux thèmes dont un cinéma de comédie porté par exemple par des réalisateurs comme Latifi ou Tahmâseb. Des sujets tabous sont désormais abordés de manière poétique, et, des histoires d’amour sont désormais mis en scène comme le fut « La mariée » de Afkahmi.

Les réalisateurs doivent faire preuve d’une mise en scène audacieuse pour compenser dans leurs histoires notamment sentimentales, l’interdiction de contact entre un homme et une femme. Pour palier à cela ils vont utiliser toute une sémiologie qui va créer une grande intensité et une belle poésie à l’image. Tout d’abord, à travers un jeu de regards subtile et fondamentale. Ainsi dans le « Foulard bleu » l’ouvrière détourne la tête lorsqu’elle s’adresse à son patron, mais le dévore des yeux dès qu’elle pense qu’il ne la voit pas. Dans « Le ruban rouge » la même situation entraine un comportement inverse ou la femme fixe l’homme et le défi jusqu’à ce qu’il capitule en baissant les yeux.

Ensuite il est courant que le montage avorte un mouvement, un contact entre des corps masculins et féminins, en laissant imaginer la fin du geste par le spectateur. Pour combler ce vide à l’image il n’est pas rare que les personnages, lors de scènes d’adieu, reviennent l’un vers l’autre alors que leurs conversations sont terminées, juste pour que ce subterfuge rende le récit moins froid et plus réaliste. Il s’agit du même procédé lorsque les caresses ou les contacts se font par l’intermédiaire à l’écran d’objet (un piano, une valise, un ruban, des fleurs) voire de la chevelure d’un enfant, le couple ne se touche pas directement mais leur affection se matérialise par le biais de leur fille. Pour revenir au doublage des films étrangers, il n’était pas rare après la révolution qu’afin de faire correspondre ces productions à la morale islamique on transforme des amoureux en proche parents afin de justifier une trop grande proximité.

Enfin c’est le hors champ qui est très utilisé pour masquer une partie du corps qui devrait rentrer en contact entre deux personnes. Toutes ces techniques font parties de la grammaire du cinéma iranien et y rajoute une grande poésie. Je me permets ici une comparaison osée, car il est en effet quasiment impossible de trouver en Iran un quelconque cinéma de genre, que ce soit de science-fiction, d’horreur ou même d’action, mais j’ai une affection particulière par « Jaws » de Spielberg et notamment parce qu’il a réussi à faire peur à des générations de spectateurs sans montrer le requin avant plus de 45 minutes de film. Or le script initial devait faire apparaitre le mangeur d’homme dès la scène d’ouverture de la baignade de nuit. Mais la maquette du grand blanc, malgré des test en piscine, ne fonctionnait plus dans l’eau salée. Il dut trouvé un palliatif, que furent la musique et la caméra subjective, le hors champ, le regard.

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Autre fait important de cette période et de cette évolution l’ouverture de l’industrie aux femmes. Jusqu’ici  seule la poétesse Forough Farokhzâd, réalisatrice notamment de « La maison noire » en 1962, représentait le cinéma iranien.  C’est d’ailleurs un fait souvent ignoré et assez contradictoire avec l’idée que l’on se fait de l’Iran révolutionnaire, mais les femmes voilées ont eu un accès plus grand et plus libre à l’espace public, à l’université et au monde de l’entreprise (y compris celle du cinéma) ou au militantisme politique et aux fonctions qui en découlent que sous le Shâh. Ainsi, des salles réservées au public féminin ouvriront dès 1928 à Téhéran mais faute de spectatrices fermeront très vite. Le reste des salles étant mixte mais les hommes et les femmes occupant chacun un coté de la pièce de manière séparée.

Dès 1987 on avait pu apprécier « Le petit oiseau du bonheur » de Pourân Derakhshandeh puis en 1989 Tahmineh Milâni s’interroge sur le divorce et sur ses effets sur les enfants, enfin, en 1993 Rakhshân Bani-e’temâd questionne le spectateur sur les inégalités hommes-femmes  dans « Le foulard bleu« , qui met en scène un amour scandaleux entre une ouvrière et son patron. En parallèle de ce questionnement sur la société révolutionnaire et ses rapports de classe, le secteur culturel se « privatise » en cela que les subventions publiques se réduisent et que les productions privées se multiplient, mais l’industrie se dote en 1993 d’un syndicat, le foyer du cinéma (Khâneye cinéma).

Le XXIème siècle va offrir un cinéma encore plus diversifié et productif, qui va, en allant  puiser dans la richesse des cultures iraniennes, connaitra de grands succès internationaux. Ainsi, Bahman Ghobâdi va installer sa caméra dans l’ouest du pays, au Kurdistan, et va s’intéresser au sort de ses populations à la fois très pauvres économiquement, et riches de traditions millénaires, le tout dans un décor fait de paysages fantastiques et sur une musique du grand compositeur Alizâdeh. « Un temps pour l’ivresse des chevaux« , un des plus beaux films que j’ai eu à voir,  obtiendra d’ailleurs la caméra d’or à Cannes en 2000.

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Enfin, comment ne pas évoquer « Sous le clair de lune » réalisé en 2001 par Mir Karimi, lui même réalisateur très religieux, qui va suivre les pas d’un « Rohâni » (diplômé d’une école religieuse et qui doit aller faire appliquer les décrets de l’Islam dans la société) et sa caméra va nous montrer cette vie simple, ordinaire et si mystérieuse pour bien des spectateurs et, d’autre part, véhiculer un message de responsabilité lourd envers les dirigeants de l’Iran révolutionnaire. Le film met, ainsi, en scène toutes les contradictions entre tradition et modernité. Si les films persans d’inspiration indienne ou égyptienne n’avait aucun lien avec une quelconque réalité iranienne, ce nouveau cinéma, lui, est directement ancré dans son territoire, dans sa société et dans ses nouvelles moeurs.

Le cinéma iranien comme outils diplomatique?

Dès les années 90 le cinéma iranien accède au succès mondial et de la reconnaissance par ses pairs. Grâce principalement au génial Abbâs Kiârostami qui avait fait ses premiers pas auprès du Kânoun et dont Kurosawa le maître japonais dira  de lui: « Les mots ne peuvent traduire mes émotions et je vous conseille simplement de voir ses films« .

Il va enchainer les succès très rapidement, quasiment un film par an. Dès 1989 on découvre « Où est la maison de mon ami« , puis « Close up« , « La vie continue« , en 1994 le très beau « Au travers des oliviers » (qui met en abîme l’utilisation d’acteurs amateurs dans les films iraniens)  et trois ans plus tard, la Palme d’or récompensera enfin « Le goût de la cerise » qui confirme le statut du cinéma iranien au niveau mondial, deux avant « Ballon blanc« réalisé par Jafar Panahi qui avait déjà obtenu la caméra d’or toujours à Cannes et en 1996 c’est  un documentaire, »Une histoire vraie » de Yek dastan-e vaghe’i qui fut récompensée au Festival des trois continents de Nantes. Certains pourront croire qu’il s’agit là de films justement calibrés pour les festivals et la critique internationale mais, il suffit de très peu de temps au spectateur pour plonger dans cet univers de cinéma véridique et indispensable.

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Plus encore cette fusion cinématographique de la fiction et de la réalité doit énormément à l’oeuvre de Majid Majidi qui filme le chagrin des gens ordinaires et l’innocence des enfants dans des paysages de campagne splendides plein de nuances. Ainsi, « Les enfants du ciel »  qui concourra en 1998 à l’Oscar du meilleur film étranger et plus encore « La couleur du paradis » qui met en scène un enfant aveugle qui vit avec son père peu affectueux parcourant le pays à cheval, le temps des vacances, afin de rentrer dans son village natal du nord de l’Iran, depuis son école pour aveugles située à Téhéran. Une fois de plus les paysages iraniens sont au coeur de l’oeuvre.

On l’a dit, la production filmique est depuis la révolution l’oeuvre de l’état qui, même s’il s’est ouvert à une certaine privatisation, garde un oeil censeur sur les créations et les sorties en salles. Pour produire et contrôler, le pouvoir dispose de nombreux outils, notamment des ministères, des fondations (la fondation Fârâbi était en 1990 le plus grand producteur cinématographique du pays, si son rôle a diminué il reste important dans le contrôle des importations, des exportations et du financements des films), ou des institutions étatiques comme la filiale de la télévision gouvernementale (IRIB), Simā Films qui produit essentiellement des fictions dramatiques ou des comédies.

Une institution comme le Kanoun va également « survivre » à la révolution islamique et de nombreux films iraniens lui doivent leurs succès tant en Iran qu’à l’International. En parallèle l’Organisation de propagande islamique (OPI) produit sans subir de censure plusieurs dizaines de films par an depuis 1980 qui après avoir largement traité des années de guerres sont aujourd’hui tournés vers un cinéma populaire destiné à la jeunesse du pays.

 

En Iran nous l’avons dit, un festival « international », celui de Fajr,  récompense du Simorgh de cristal chaque année les meilleurs films iraniens mais aussi étrangers. Pourtant les réalisateurs de ces films internationaux sont rarement présents et leurs oeuvres rarement projetées dans leur intégralité. Certains cinéastes iraniens comme Parviz Shahbâzi déclarant même que « la section internationale du Festival n’a qu’une fonction décorative« . Cela s’oppose à l’esprit du premier festival de cinéma fondé en Iran en 1950 qui lui ne diffusait que des productions britanniques et françaises. Pourtant, le festival de Fajr est malgré tout, aujourd’hui une occasion unique pour les spectateurs de visionner de tels films du répertoire mondial.

20 ans après la mise en place du Festival l’Iran va se doter d’un musée du cinéma, que le Président de la République Mohamad Khâtami va inaugurer en 2002. Il possède une grande salle de projection et de nombreuses archives, très riches, sur les précurseurs du cinéma iranien, dont des documents ayant appartenu à l’ancien régime (la République n’a pas fait table rase ici). Les techniciens et leurs matériels (dont ceux des ingénieurs du son qui ont permis de capturer lors du tournage la voix des acteurs pour se défaire des doublages post-synchronisés), les réalisateurs et les acteurs  du cinéma contemporain sont aussi mis à l’honneur, ainsi que les films ayant obtenus des consécrations internationales dans des festivals à travers le monde.

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Le cinéma iranien dans son ensemble est donc célébré comme pour montrer que l’objectif de la révolution est atteint, celui de faire connaitre et reconnaitre son identité à travers un cinéma respectant la « guidance islamique » dans une industrie moderne et mondialisée largement dominée par l’occident. À cela de nombreuses voix s’indignent de la censure que connaissent les réalisateurs iraniens.

Mais rappelons le, la censure cinématographique exista dès 1900 en Iran où les « lecteurs » de commentaires changeaient le fond des textes insérés dans les films muets pour respecter la morale ou le pouvoir en place. Sous le Shâh elle s’officialise en mettant en place un officier municipal qui doit viser le film avant sa diffusion. Puis va être créée une commission de projection qui doit écarter les oeuvres heurtant la religion, la morale, la monarchie, l’unité nationale voire des puissances étrangères ou plus étrange encore celles « nivelant par le bas le gout du public ». C’est aussi, souvent, en modifiant le doublage que les diffuseurs de films étrangers s’en sortent en modifiant certes le scénario mais aucun studio indien, égyptien ou occidental n’avait l’air de s’en plaindre.

Aujourd’hui la censure et le cadre législatif restrictif modifient donc plutôt en amont la manière de faire un film. Y compris malheureusement par le choix de certains cinéastes de s’exiler.