Emmanuel Hiriart- Directeur de la Photographie

La Révolution islamique, la guerre et le cinéma de « défense sacrée ». (Le cinéma iranien, deuxième partie)

Tout d’abord de nombreuses salles vont disparaitre, être fermées ou brulées en cela que le cinéma véhiculerait des valeurs occidentales pour certains révolutionnaires qui veulent faire table rase du passé, des symboles faciles de l’ancien régime. Dès les années 70 de nombreux intellectuels iraniens avaient reprochés au cinéma « l’occidentalisation » forcée de leur pays.

S’il ne reste déjà plus que 300 salles de projection au lendemain la révolution, 1981 marque encore plus la mort d’un certain cinéma. Cette année là 3 films iraniens seulement, seront produits,  et la majorité des salles fermeront dans la foulée de l’occupation par les militants révolutionnaires de l’ambassade des États-Unis d’Amérique. Ceci créant une forte baisse des importations de films et une interdiction des films occidentaux et entrainant une forte baisse de la fréquentation des salles.

Pourtant les messages et recommandations de l’Ayatollah Khomeyni semblent ne s’attaquer qu’aux seules oeuvres de propagande. Le Guide Suprême de la Révolution, à cette occasion précisera : »Nous sommes contre les cinémas dont les programmes corrompent nos jeunes et notre culture islamique, mais nous approuvons les programmes édifiants qui aident au développement sain de la morale et de la science dans la société. »

Cette mort n’allait pas durer et la renaissance qui allait lui succéder, si elle était accompagnée de contraintes, allait lui bénéficier sur le plan de la qualité. La jeune république va « nationaliser », et bien sur islamiser le cinéma, qu’elle va l’encadrer et le subventionner.

La législation mise en place dès 1984 précise qu’un film devra désormais être utile à la société et ne pourra pas blasphémer les religions officielles du pays, et devra aussi éviter des idéologies subversives.

Voilà pour la partie écrite, à laquelle viennent s’ajouter de nombreuses règles tacites qui empêcheront le réalisateur, de provoquer de la sympathie pour les personnages de criminel, de créer auprès du public la tentation du péché et notamment celui de la consommation de drogue. Enfin la règle la plus connue restant celle concernant le port du hijab pour les femmes apparaissant à l’écran même lors des scènes tournées en intérieur. En Iran si le voile est obligatoire dans l’espace public, on devrait plutôt parler de foulard le foulard, les femmes sont tête nue une fois au sein de l’intimité de leurs foyers. Les conditions d’un tournage et son mode de diffusion ne permettant pas de correspondre à cette intimité on voit à l’écran des scènes »intérieures » avec des femmes voilées, y compris lorsqu’elle sont dans un lit.

affiche guerre

Mais l’étude de la production cinématographique des années 80 laisse entendre qu’il s’agit bien moins d’une renaissance que de l’émergence d’un nouveau cinéma révolutionnaire largement transformé par son époque. En effet lorsque la guerre Iran-Irak éclate, ce nouveau cinéma est encore très fragile et s’il est encadré il faudra aussi que le nouveau régime le soutienne pour ne pas le voir disparaitre. Pour cela, une série de mesures économiques sont prises favorisant l’importation de matériel technique en fournissant des devises étrangères à son industrie cinématographique, mais aussi en la faisant bénéficier de réductions de taxes et d’impots ainsi que d’une redistribution des bénéfices issus des films étrangers en faveur de la production nationale.

En parallèle de cela l’Iran va aussi se doter de structures telles que, le festival de Fajr dès 1982, ou de la fondation cinématographique Fârâbi  qui vont devoir aider au développement du septième art et, commémorer ainsi, la Révolution Islamique. Car la jeune république et ses dirigeants sont avant tout désireux de ne pas perdre leur industrie culturelle mais veulent aussi défendre des valeurs et aborder la question de la guerre « imposée » qui l’oppose à l’Irak de Hussein soutenu aussi bien par les occidentaux que par le bloc de l’est. Le cinéma iranien devient alors celui de la « défense sacrée » (Defâ’e moghadas). dont les grandes figures de ce style célébrant le martyr et la résistance sont Mortezâ Avini, Mollâgholipour, Ahmadrezâ Darvish et Hâtamikiyâ.Grâce à ces outils, notamment de financement et de promotion, et contrairement à une idée reçue, les cinéastes iraniens vont pouvoir travailler avec une plus grande liberté.

Ce cinéma est un cinéma d’auteur où le réalisateur est plus indépendant par rapport au système de production et surtout c’est un cinéma sans vedettes, ses acteurs sont alors bien souvent des enfants. En abordant ainsi le monde des adultes le cinéaste se permet une critique de la société dans son ensemble de manière plus poétique. À côté des réalisateurs tels que Hâtami, Mehrju’i, Beyzâ’i ou Kiârostami ou Nâderi (qui sortira « Le coureur » en 1985) va apparaitre une nouvelle génération « révolutionnaire »dont, Kâmbuziâ Partovi, Majid Majidi, Alirezâ Dâvoudnejâd, Rasoul Mollâgholipour, Kiânoush Ayyâri, Siâmak Shâyeghi et Rakhshân Bani-E’temâd font parti.

guerre-irak

De cette école de cinéma de guerre vont émerger deux réalisateurs majeurs en Iran :

Tout d’abord Mortezâ Avini, dont le parcours est caractéristique de ce cinéma islamique révolutionnaire. En tant que révolutionnaire, Avini fut d’abord membre de l’organisation de reconstruction urbaine (le Jihad de la construction) qui s’active depuis 1980 dans les villes et villages délaissés jusque-là par l’administration du Shâh. Il réalise alors quelques documentaires puis, dès le début des hostilités il devient sur le front, cinéaste de guerre. Il va alors travailler sur la notion de conquête (au début de la guerre  l’Irak envahit l’Iran assez profondément) tout d’abord avec un film, « Fath-e khoun (la conquête du sang) puis avec une série documentaire « L’histoire de la conquête » qui suivra les soldats iraniens durant les huit années du conflit. Les séries « Haghighat » (La vérité) ou « Revâyat-e fath » (Chroniques de la victoire) diffusées pendant la guerre le sont toujours aujourd’hui et  restent très populaire en Iran, et font de lui le documentariste le plus connu du pays. Il y restitue le quotidien des combattants, rien n’y est reconstitué, tout est pris sur le vif. Chaque film rend aussi compte de l’importance des pratiques et des rituels religieux sur le front et peut être grâce à ces scènes de prières Avini crée des films qui refusent le caractère urgent et dramatique de chaque situation. Il filme le conflit non pas comme on le voit au cinéma ou pire, à la télévision pour expliquer telle ou telle prise ou perte de terrain. Ses films sont comme hors du temps et le spectateur comprend d’une part que le documentaire n’est pas une simple reproduction de la réalité, qu’il s’agit d’un travail de construction mais plus important son évocation intemporelle de cette guerre pose des « problèmes » d’interprétations aux spectateurs, ce qui est très rare dans le cinéma de guerre, il faut bien l’avouer.

sur le front

Pour être complet il faut aussi nous arrêter sur le parcours et les films de Ebrâhim Hâtamikia qui abordera aussi le conflit d’un oeil critique en mettant par exemple en scène des mutilés de guerre qui ne trouvent pas leurs places dans une société qui ne reconnait pas leur sacrifice comme ils le mériteraient. De nombreuses séries populaires présentent à l’époque et quasiment en temps réel la réalité du conflit à travers des fictions, des comédies et des documentaires. Quand on pense qu’il faudra plus de 5 ans aux USA pour que son cinéma aborde la guerre du Vietnam (hormis de très mauvais films de propagandes dont « Bérets verts » de John Wayne) et qu’il le fera toujours de manière unilatérale, on peut être surpris de la place que le conflit prend dans la création culturelle dès 1981, sans beaucoup de moyens et, y compris en y mettant en scène des personnages d’irakiens. À ce titre, combien y a t’il de personnages d’indiens dans les westerns, de japonais dans les fresques sur la guerre du pacifique ou d’algériens du FLN dans les films français sur la guerre d’indépendance, hormis « La bataille d’Alger » réalisé par Gillo Pontecorvo 4 ans après la fin du conflit et interdit de diffusion en France pendant 30 ans.

Les documentaires ou fictions iraniennes sur la guerre donnent à comprendre plus qu’à voir et les réponses qu’elles semblent donner au spectateurs sont souvent extrêmement complexes. Ainsi « La frontière » qui est la première fiction sur cette guerre imposée le personnage irakien est souvent filmé en gros plan  et finit par faire partie de l’environnement mais plus en tant qu’ennemi. Une l’histoire pas si manichéenne qui laisse le spectateur se questionner sur « l’ennemi ».

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