Emmanuel Hiriart- Directeur de la Photographie

Nouveau

The Tree Of Life, Malick et Lubezki écrivent un nouveau dogme.

Après avoir soutenu à travers deux articles récents, que le seul but de nos métiers était la création et donc sa partie artistique et non pas l’éphémère conviction de liberté ou d’émancipation due à de récentes et sophistiquées technologies, je voudrais aujourd’hui appuyer mon propos par l’étude d’un cas d’école voire d’un chef d’oeuvre. J’ai eu la chance de découvrir « The Tree of life » à Cannes lors de mon séjour sur la croisette pour les webséries « Mon Premier Cannes » et « États Critiques » pour le journal Le Monde.

http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/video/2011/05/21/etats-critiques-1-4-a-propos-de-the-tree-of-life_1525667_766360.html

C’est notamment quelques conversations avec Jean Luc Douin, journaliste du Monde qui m’ont apportées un éclairage nouveau sur le Cinéma de Terrence Malick. Voilà pourquoi j’ai profité de sa sortie en salles pour revoir le film qui depuis avait reçu la Palme d’or, et j’ai pu étancher ma soif de comprendre le film grâce notamment à un article de American Cinematographer auquel je fais référence ici car de toute façon les interviews de Malick sont trop rares et celles sur le travail autour de ces films aussi.

Et afin de creuser les raisons d’un tel film, je me tourne et c’est bien naturel pour un directeur de la photographie vers les explications de Emmanuel Lubezki qui a officé sur de nombreux films de Malick et a pu ainsi écrire avec lui les pages d’un « nouveau dogme » dont je vais commencer par exposer les règles afin de montrer à travers des cas concrets dans ce film référence ce que peut être un point de vue filmique tant dans la réalisation que dans la lumière.

Tout d’abord qui est Emmanuel Lubezki ? Le directeur de la photographie né au Mexique en 1964 fut nommé 4 fois pour les Oscars, en 1996 pour Little Princess, en 2000 pour Sleepy Hollow, en 2006 pour The New World de Terrence Malick et en 2007 pour le très bon Children of Men. L’homme est discret et la liste complète des très bons films sur lesquels il a travaillé est longue je n’en citerai que deux, symptomatiques, selon moi, de toute la palette dont il est capable, The Assassination of Richard Nixon ou encore Burn After Reading.

On sait l’homme capable de tous les défis, dont les plus fous, filmer avec un diaph constant, et l’on comprendra mieux encore le film « odyssey » de Malick à la lecture du travail qu’il a pu effectuer avec le réalisateur à l’occasion de ce film.

En se fixant des règles de conduites aussi simples apparemment que tourner en lumière naturelle le plus possible, au point que les lumières artificielles leurs paraissaient étranges à regarder. Chercher à conserver de « vrais noirs » sans jamais sous exposer. Préserver tout la latitude de l’image et de la pellicule et  garder un maximum de résolution pour un minimum de grain, éviter les flares ou l’utilisation de couleurs primaires dans l’image, le tandem Malick et Lubezki va élaborer une méthode de travail qui va aboutir d’un film évènement à bien des niveaux, un chef d’oeuvre selon moi, dont je délivre ici les dessous sous un aspect technique.

Tout d’abord l’homme nous avoue son amour pour la pellicule et souhaiterait plus que tout que le tournage se suffise à lui même sans être obligé d’en passer par une étape de numérisation. L’affection qu’il porte au film démontre sa grande connaissance du métier et de l’art de restituer toute la profondeur d’un film sur un négatif. A l’heure où dès le tournage on entend trop souvent dire que l’on réglera plus tard en post-production le ou les problèmes rencontrés sur le plateau, Lubezki paraît être un homme à l’ancienne qui excelle dans son art et dont le point de vue n’est jamais une posture ou une tendance mais une action réfléchie qui aura un impact sur l’histoire, sur le jeu de acteurs, sur le spectateur.

Sur The Tree of Life, il va utiliser 3 caméras Arri, deux Arricams Lite et une petite Arri 235 pour les actions à l’épaule. La plupart des scènes sont tournées ainsi ou au SteadyCam, opéré par Joerg Widmer, seules dix pour cent du métrage le sont au trépied. Et tout cela non pas dans le but de donner un effet bougé mais bien pour donner toute la liberté aux acteurs et notamment aux enfants d’évoluer et de mener finalement la danse de cette très belle chorégraphie. Pour répondre à la problématique de la résolution et du grain de l’image le choix va se porter sur de la pellicule KodakVision 2 50T 5218 et 200T 5217 mais aucun filtre, à part un polarisant ne sera utiliser pour ne pas altérer la lumière et la qualité de l’image naturelle et le film sera capturé au format 1.85 :1 en 4 perfs toujours dans un soucis d’éviter le grain du super 35 car la majorité des scènes sont des plans très serrés des enfants ou des visages.

Une autre règle va aussi très vite se mettre en place sur la plateau, aucune marque au sol ne viendra signifier aux acteurs où se placer. Ceci dans le seul but de leur laisser toute liberté de mouvement et que leurs jeux (au sens propre, ceux des enfants) mais aussi leurs émotions et leurs envies s’expriment sans entraves et qu’ils mènent la danse avec la caméra et les opérateurs. Ceux-ci vont alors s’autoriser des mouvements de caméra suivant tous les axes et s’adaptant au mieux à la scène et à la façon dont les acteurs la joueront. L’espace ne sera pas rigide et on sera libre de s’y promener, acteurs et opérateurs formant un couple évoluant dans une sorte de valse.

Et afin de restituer au mieux cette émotion et cette sensation de flottement de la caméra, Lubezki va utiliser des objectifs grands angles. Les séries Arri ou ZeissUltra Primes de 14mm à 27mm qui lui permettront de rester au plus près de ces visages, rarement plus de 80 cm en réalité.

Enfin les trois caméras seront toujours prêtes et chargées, l’opérateur faisant la mise au point étant équipé d’un système sans fil configuré pour toutes les caméras, ainsi sans « casser » la dynamique de la scène les opérateurs passaient d’une caméra à l’autre ou simplement permutaient leurs places à la fin d’un magasin. En passant ainsi du steadycam à la Arri235 le tandem permettait ainsi une très grande fluidité et conservait au tournage toute son atmosphère et son energie. Un de ces rares tournages sur lequel on filme plus que l’on attend selon Jack Fish qui a travaillé avec Malick depuis Badlans en 1993, qui reconnaît que le réalisateur a bien une pratique assez unique de la direction d’acteur et de l’organisation des tournages. Il tourne en fait peu de filme ce qui lui laisse le temps de méditer pendant de longues années sur un film, pour autant il veut aussi y adjoindre un aspect « non préparé » et plus émotionnel qui ne peut se dégager que lors du tournage en lui-même.

Cette gymnastique autour des acteurs et autour des caméras n’allait pas sans poser des problèmes de diaph notamment, Lubezki appliquant à la lettre la règle voulant que l’on tourne quasi exclusivement à la lumière naturelle venant de l’extérieur il lui arrive de débuter une prise à T8 et de la terminer à T1.3 afin de contre balancer l’arrivé de nuages dans le ciel.  Mais plus encore le choix de ne pas disposer de réflecteurs afin de laisser le champ libre aux acteurs et à la caméra, et de ne jamais sous exposer un plan oblige le directeur de la photographie à faire des choix afin de filmer toute la famille autour d’une même table alors de 2 diaph séparent la bonne exposition des visages de chacun, et que l’extérieur qui apparaît par les fenêtres nécessiterait T64, pourtant à l’image tout paraît justement éclairé et tous les détails apparaissent, y compris ceux du ciel ou de l’herbe.

Pour se permettre de tourner de telles scènes Malick va utiliser un subterfuge assez simple, utiliser trois maisons quasi identiques mais orientées différemment afin de pouvoir tourner à plusieurs moments de la journée sans se soucier du temps qui passe et là aussi ne pas trop casser l’essence de chaque prise.

Concernant les extérieurs jour Lubezki va jouer avec les contre jour d’une part car il pense que cela apporte une profondeur dans l’image mais aussi afin de permettre les raccords au montage plus facilement entre deux scènes tournées à deux moment très différents voire dans des endroits éloignés. Quand je parle ici d’endroits différents il faut comprendre aussi des scènes baignées par une lumière hivernale du matin ou estivale du soir. Et selon lui, c’est en évitant au spectateur de pouvoir percevoir ces différences de qualité de lumière de manière directe sur le visage des acteurs que le montage peut être cohérent.

Au point d’avoir parfois placé dans une même scène les deux acteurs à contre jour alors qu’ils sont sensés être face à face à l’écran. Ainsi revoyez la séquence ou Jack (Brad Pitt) apprend à son fils à se battre et notez que cette impossibilité physique fonctionne en terme de montage et de récit filmique.

Lors des intérieurs nuit aussi l’on peut considérer que Lubezki va se jouer de la lumière et donc du spectateur car il choisira un seul dispositif portable de type Chimera 2K qu’un assistant promènera au fur et à mesure de l’évolution de la caméra et des acteurs dans la pièce recréant ainsi cet effet de lumière mouvante que pourtant, le spectateur ne perçoit pas au premier coup d’œil.

Enfin il faut noter le grand travail de colorisation effectué par Steve Scott de EFilm afin de d’abord de restituer la latitude et les détails dans les blancs perdus selon Lubezki du fait du trop grand contraste présent sur les négatifs qui nécessitent désormais un passage obligé par de la numérisation, mais aussi afin d’intégrer la séquence de 20 minutes nommée « Création ». Tout le matériel se rapportant à cet unique scène provenant en effet de sources aussi nombreuses que différentes allant du 65mm au 35mm en passant par du 4K d’une RED One ou encore du HD d’une Phantom ou de clichés RAW d’un Canon.

Si l’œuvre est magique sur le fond vous en savez désormais un peu plus sur la forme et sur l’un des artistes qui personnellement me fait aimer mon travail mais aussi et surtout aller au cinéma. Le film est sorti au moment où j’écris ces lignes, en DvD mais j’hésite à reproduire l’expérience sur un simple téléviseur aussi bon soit-il, de peur de dénaturer une partie du film. Et afin de ne pas trop abîmer l’image je vous conseille d’acquérir plutôt le BluRay version États-Unis édité par 20th Century Fox dont l’encodage est bien meilleur que celui en version française de Europa, pour exemple le débit moyen sur le premier est de 33725 Kbps contre seulement 25431 Kbps pour le second.

Pour terminer un conseil de lecture sur le sujet, le mémoire de fin d’étude de Benjamin Roux présenté à l’école nationale supérieure Louis Lumière en 2009 sur : « Lumière naturelle, entre réalisme et émotions. » où il est bien sur question de Terrence Malick.

Prendre l’air (épisode 0), le pilote

Pas facile de reprendre l’écriture de ce blog lorsque l’on a accumulé trop de jours à se dire qu’il faudrait vraiment faire quelques mises à jour, mais voilà le temps n’est pas un allié solide lorsque l’on travaille il a l’air de filer à l’anglaise plus vite encore. Alors revenir oui mais pour raconter quoi? Autant le dire je n’ai pas été déçu des mise à jour de chez Red, de la nouvelle Amira mais plus que tout c’est vers le tournage aérien que va se tourner ce billet (et peut être les suivants) dans la mesure où cela nécessite beaucoup de patience et de technique mais une fois maitrisée le pilotage d’un engin puissant et bien équipé (retour vidéo, tête vidéo stabilisée, caméra 4K) cela devient un plaisir d’aller tourner de belles images au dessus des clochers et des mosquées, sur l’eau ou dans les montagnes les plus reculées.

Behind the scene_Drone

 

Alors bien sur ça n’est jamais facile d’obtenir les autorisations pour tourner au Liban notamment mais honnêtement je jeu en vaut la chandelle car en quelques mois j’ai eu le plaisir de voir le pays sous un angle neuf et de le redécouvrir depuis le ciel, tout en gardant les pieds au sol, une variante un peu moins chère et moins polluante de la terre vue du ciel d’une photographe célèbre.

Ce fut Baalbeck, Beyrouth, Le Mont Liban, le Chouf, et comme de nombreux projets arrivent y compris plus à l’est dans le Moyen Orient je vous raconterai sous un angle un peu technique ces quelques aventures où l’on part avec sa caméra et sans trépieds.  D’autant plus que filmer en 4k peut sembler parfois compliqué mais quand on rajoute à cela un pilotage de la caméra par deux télécommandes cela mérite quelques anecdotes et de bien connaitre son matériel. Pour ma part comme vous pouvez le voir j’ai opté pour un Spreading Wings DJI S1000, ce qui se fait de mieux à mon sens pour y loger un 5D, un Lumix GH4 ou une Scarlet.

Comme je compte bien ne pas m’arrêter en si bon chemin je vais chercher des productions pus au nord et plus à l’est donc si vous êtes intéressé par ce type de tournage quelque soit la destination contactez moi, ce sera avec plaisir. Et je ne doute pas que ce récit à venir va être utile à de nombreux chef op qui n’ont pas encore tenté l’expérience, car cela nécessite tout de même un brevet de pilote et quelques connaissances.

scarlet in the air

Retour à l’ergonomie allemande

Alors que Sony sort un modèle 4K grand public, Arri vient de présenter sa nouvelle caméra, la Amira dont les spécificités ont l’air d’être à la fois un pari de ne pas proposer un produit 4K malgré l’émergence de ce marché mais de mettre (enfin) à la disposition d’un public plutôt axé sur la production télévisée, le film institutionnel et le documentaire, une caméra d’épaule ergonomique, dotée d’un capteur de 35mm, d’un workflow simple comme c’est l’habitude chez les allemands délivrant des images en HD ou en 2K jusqu’à 200fps.

J’ai hâte d’en savoir plus sur l’engin et de pouvoir le tester car les 14 Stops de latitude annoncés de son capteur associé au design de la Amira semble pouvoir me séduire pour de nombreux projets. Elle supporte les 3D LUTs  afin de donner des « looks » aux images et l’on pourra bien sur en importer depuis un logiciel de color grading et les ajuster aussi en cours de tournage y compris pendant l’enregistrement.

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La Amira dispose d’un viseur oled d’une résolution confortable de 1280×1024 pixels qui cache un petit écran LCD de 3,2″ escamotable qui permet la navigation dans les menus. Contrairement à de nombreux concurrents la caméra disposera aussi de filtres nd intégrés et motorisés ainsi que d’un zébra. Côté codecs on pourra faire du Prores dans toutes ses déclinaisons, jusqu’à 4:4:4 en HD sur des cartes CFast 2.0 (une carte CF nouveau genre dont la mise à jour permet une rapidité jusqu’à 450Mbs en lecture, pour 350Mbs en écriture. La caméra hébergera deux fentes destinées à ces cartes et associées à des prises USB pour les décharger. La carte disposera en plus d’un numéro de série et donc d’un support client de la part de son constructeur (SanDisk) qui laisse croire que le consommateur ne sera pas seul au milieu du désert lorsque son médium sans prix renfermant toute une journée de labeur sera incapable de monter ou d’être lue correctement. Si Arri est pour l’instant le seul constructeur à prendre ce chemin il semble que Canon soit tenté par l’expérience concernant leurs caméras et DSLR 4K.

Dans le pur style caméra d’épaule des boutons sont assignables afin d’avoir accès à des réglages rapidement sur le terrain. Et énorme plus aujourd’hui sur ce segment, l’audio est intégré, la Amira enregistre 4 canaux de 24 bits 48Hz via des ports XLR 3 et XLR 5.

Arri_Amira-Blacklistfilms

On pourra, selon Arri, y connecter toutes les montures PL possédant un connectique 12 pin pour contrôler le diaph automatiquement et l’enregistrement depuis le bouton de la poignée. Et rien ne sera oublié car la monture sera aussi compatible avec la connectivité LDS. Arri assure une compatibilité avec les optiques B4 2/3″, habituelles sur les caméras d’épaule, et EF. Le tout dans un fonctionnement silencieux, moins de 20Db annoncé.

C’est prometteur on attend plus que le prix et la disponibilité car souvent ces deux facteurs tuent un peu le rêve. Bien qu’ici les responsables de Arri s’ils ne dévoilent pas le tarif de vente, s’engagent sur une caméra dont le prix se situera bien en dessous de la Alexa avec qui, elle partage le capteur et le design, de très bonne augure. Comment dit-on « vivement 2014 » ne allemand?

Mise à jour du capteur Red Dragon 6K (un goût de noël avant l’heure, mais après tout c’est l’Aïd)

Difficile de s’en tenir au seul « making of » comme annoncé dans le précédent billet lorsque Red annonce la sortie, ou plutôt la mise à jour de son capteur Dragon 6K. Alors voilà quelques détails techniques pour faire saliver ceux qui seraient sur les rangs pour passer ce cap réservé aux seules Epic, la Scarlet et en effet limitée dans cette mise à jour, à 5K pour un maximum de 60 ips, surement pour justifier des différences de prix et un placement marketing (je rappelle que les limitations de la Scarlet sont en effet purement liées au logiciel interne).

Tout d’abord le dernier né des capteurs de chez Red est donc un 6K 6144 (h) x 3160 (v), soit pour ceux qui auraient comme base du HD (1920×1080), 9 fois plus de résolutions. L’idée est simple, on se rapproche d’une part de la qualité du 35mm et surtout on a un format plus grand que celui de la diffusion qui semble se diriger vers le 4K aussi bien dans les salons que dans les meilleures salles de projection publiques.

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Le capteur de 19 millions de pixels permettra même de filmer en 6k à une cadence de 100 images par secondes (120 ips à 5K, 200ips à 4k et 300ips à 2K), un peu comme si votre meilleur appareil photographique avait une fonction rafale de cette puissance (le mien ne fait guère mieux que 12 images par seconde) et que vous puissiez en plus éditer cela en tant que fichier vidéo Raw mais selon le codec R3d qui permet une compression pas inutile lorsque l’on passe à la gestion des fichiers en post-production.

comme l’on parle de procédé Raw et donc d’un traitement de l’image, de sa débayérisation non pas dans la caméra mais par un ordinateur il vous faudra aussi penser à investir dans une carte permettant ce calcul plus rapidement et pour cela Jannard le patron de Red a annoncé aussi une nouvelle RedRocket X cinq fois plus rapide que le premier modèle, ainsi qu’une version de RedCine-X Pro encore améliorée.

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Pour en revenir aux détails techniques du capteur, il dispose et c’est là la vraie nouveauté et l’énorme amélioration d’une sensibilité efficace de 250 jusqu’à 2000 ISO et d’une plage dynamique de 16,5+ stops. en fait le capteur gagne plus de 3 stops de dynamique par rapport à son prédécesseur, un dans les hautes lumières et deux dans les noirs. L’avantage est que l’on peut se retrouver dans des situations extrêmes de contre jour ou de différentiel d’exposition dans une même scène sans pour autant perdre des informations dans les parties sombres ou trop éclairées.

On pourra dès lors aussi pousser un peu plus la sensibilité en post production comme au tournage, selon les premiers essais il semble que des valeurs autour de 4000 ISO ne provoquent pas autant de bruit que l’on pourrait s’y attendre. Donc en parallèle on pourra aussi compresser un peu plus l’image mais obtenir un résultat comparable à une compression faible en utilisant le capteur MX. On parle ici d’une équivalence entre du 17:1 avec le Dragon et du 8:1 avec une Red MX sans affecter les teintes,les nuances, les noirs ou les blancs. On peut pousser cette compression de 3:1 à 18:1 en 12 ou 16 bit Raw.

La caméra (brain only) set annoncé à 29.000$ quand la mise à jour pour les possesseur d’Epic X ou M coutera un peu moins de 10.000$.

Making of « La société Hezbollah » : Webdocumentaire

Ce blog que j’ai lancé fin 2011 pour suivre l’actualité des technologies du cinéma numérique en me basant sur l’expérimentation sur le terrain, mais aussi quelques billets sur l’industrie et l’histoire du cinéma au Moyen Orient va se transformer pour quelques temps en un « making of » d’un webdocumentaire sur lequel je travaille désormais. Même si le travail effectif n’est pas encore lancé officiellement du fait des vacances et que rien ne sera signé avec les productions et les diffuseurs avant la rentrée je vais désormais rendre compte ici de l’avancée de cette plongée au coeur de « la société hezbollah« .

Hezbollah Parades Eight Militants From Prisoner Swap With israel

Le sujet, le traitement et la production de cet objet documentaire, réalisé à base de photographies, de vidéo, d’archives et d’iconographies ainsi que de son et de musique mérite à mon sens que l’on se penche aussi sur les différentes étapes qui vont jalonner le long parcours qui débute aujourd’hui.

Tout d’abord quelques mots sur le fond du documentaire. Il s’agira de plonger au coeur de la société (militants, habitants, cadres, institutions) du hezbollah libanais, à travers quatre de ses « territoires » (le sud liban, la vallée de la Békaa, la banlieue sud de Beyrouth et un quartier de la capitale). Nous passerons en revue tous les aspects de l’action du parti de Dieu depuis sa création, aussi bien sur le plan militaire, religieux, politique, social, économique et culturel. tout cela à travers trois chapitres (l’exercice du pouvoir, la structure et les fondements du parti et enfin l’action militante).

Missiles sur le bord de la route sud

Je rentrerai dans les détails techniques et autres au fur et à mesure du tournage et de l’avancée du projet. J’ai obtenu l’autorisation du Hezbollah après une longue attente et une présentation du projet auprès de leurs institutions dédiées à la presse et à l’information. Et pour les plus septiques d’entre vous je dispose d’une assez grande liberté d’action pour pouvoir travailler au sein de leurs institutions pendant plusieurs mois afin de réaliser un webdocumentaire dense et le plus complet possible traitant de nombreux aspects et questions que suscitent le parti. Comme un signe (positif je l’espère mais j’en doute vue les circonstances et les enjeux) depuis que l’accord à mon égard est intervenu, la branche militaire du parti est désormais « blacklistée » par l’Union Européenne.

Je tournerai avec une Red la partie vidéo (essentiellement des entretiens) ainsi qu’avec un Canon (1DC?) pour les prises de vues photographiques (noir et blanc) et tout cela me donnera l’occasion d’aborder tous les aspects de cette réalisation pas comme les autres de la production à  la programmation de ce webdoc en passant par le tournage, les workflows et sa diffusion (prévue en 2014).

A bientôt sur le terrain, vous pourrez suivre aussi l’évolution de cette production sur Twitter @webdochezbollah

Comprendre le Raw, au début était la courbe de Gamma

De plus en plus de caméras « Raw » font leur apparition sur  le marché, de quoi faire perdre la tête à pas mal de production, à quelques heures/jours/semaines/mois de la sortie tant attendue du capteur Dragon de chez Red. Voilà donc tout un petit billet pour s’y retrouver dans cette jungle révolutionnaire, on y parlera technique et courbe de Gamma dans un premier temps avant de faire un état des lieux de l’offre réelle de ce marché en question, pour voir ce que va changer la dernière née de chez Jim Jannard. Mais en guise d’introduction, après les déboires passagers de Aaton, me vient une nouvelle de mes amis de Ikonoskop qui annoncent arrêter un temps leur production, après maintes chutes des prix de leur petite caméra, les voilà peut être eux aussi face à un problème financier de trop.

 

A l’origine, le signal d’une télévision, et donc de sa capacité à recevoir de l’information par onde, nécessitait de réduire au maximum les informations produites par la « large » plage dynamique d’une image issue d’une caméra. Il faut comprendre que la bande passante transportant ces informations est limitée dès 1930 et dans les décennies qui suivent l’invention de la télévision hertzienne.

A chaque ouverture d’un diaph supplémentaire par exemple on double la luminosité par rapport au diaph précédent. Donc, en parallèle, on devrait doubler la bande passante requise pour transférer (ou enregistrer) le surplus d’information obtenu. Mais en pratique la bande passante n’évoluera pas, elle est en faite constante et déjà à son maximum.

La mauvaise qualité de cette méthode de transmission télévisée sans intervention aurait abouti à ne transmettre qu’une petite bande ou partie de cette plage dynamique de l’image.Le choix se porta donc, sur la réduction d’information. Et pour conserver une image diffusible et acceptable, on choisi de sacrifier les hautes lumières tendant ainsi à préserver les noirs et les tons moyens, ceux du visages. On comprendra qu’en télévision le plus important était donc le sujet et que l’on pouvait sacrifier l’arrière fond sans pour autant transformer dramatiquement l’image de base ainsi diffusée.

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Voilà comment et pourquoi apparu la courbe gamma dont le travail consiste à préserver la lecture d’une image en réduisant les données des seules hautes lumières d’une image enregistrée ou diffusée, et donc en maitrisant la bande passante . Cette courbe s’ajuste au fur et à mesure de l’ouverture du diaph pour compenser cet afflux de données et donc faire disparaitre du même coup tout un tas d’informations dans les blancs, pourtant nécessaires à la lecture des éléments les plus clairs. Les noirs et les skintones, eux, ne sont pas vraiment concernés par l’opération et à force de s’habituer à ces amputations de l’image l’oeil finit par dire qu’il n’y voit pas de différence, bref, c’est diffusible sur le ondes.

Toutes les caméras vidéos utilisaient alors ce système de compression du signal qui empêchait y compris en post production de récupérer les informations perdus lors d’une surexposition sur un visage ou un ciel. Problème, les caméras gardaient le même système de compression et d’enregistrement alors même que leurs capteurs gagnaient eux en dynamique. Résultat, on perdait encore plus d’informations pour respecter la bande passante maximale du procédé d’enregistrement ou de diffusion. Paradoxalement plus les capteurs devaient restituer tout un plan des noirs au hautes lumières, plus on compressait ces dernières et plus le travail en post production devenait impossible du fait de la perte plus importante d’informations dans cette partie de l’image. On préférait donc une caméra ayant une moins grande dynamique d’image mais qui de fait la détruisait moins une fois gravée sur son support. Le mieux techniquement n’était pas l’ami du bien.

 

L’évolution nécessitait alors de se détourner ou de contourner cette courbe de Gamma afin de profiter pleinement des capacités des capteurs disposant de plus grandes  plages dynamiques. C’est là qu’entre en jeu le filtre de Bayer (même si la technique aboutissant au Raw n’est pas limité à un seul type de capteur), il s’agit d’un seul capteur qui dispose d’un filtre lui permettant de reproduire le plus fidèlement possible les couleurs de l’image captée en bénéficiant de toute la dynamique de l’image.Le système consistant alors à convertir les informations de lumière en un signal vidéo couleur. Le processus multiplie l’information de lumière en la traitant pour chacune des couleurs primaires. La multiplication de traitement qu’opère ce filtre, composé de rouge, de vert et de bleu, n’est pas réalisée de manière égale en cela que les filtres verts sont deux fois plus présents que leurs homologues bleus ou rouges, afin de reproduire une image qui correspond le mieux à ce qu’un oeil naturellement.

 

Mais à nouveau après ce traitement arrive le problème de bande passante, car concernant un capteur de 4K, soit 4096×2160 pixels il faut enregistrer plus de 8 millions d’informations (8,8 millions pour être précis) à chaque image capturée. D’autant plus que si le traitement doit s’effectuer à ce moment là, il faudrait encore le répéter pour chacune des couleurs primaires qui divisent l’information et transforme la lumière en couleur. Soit un total après traitement de 26,5 millions d’informations par image.

L’idée du Raw suppose une simplification de ce traitement qui normalement vient en plus s’enrichir des ajustements fait par la caméra ou l’utilisateur au moment de l’enregistrement, tels les balances des blancs et les choix de gain qui pourtant n’affectent pas la manière de travailler pour le capteur. Car quelque soit le réglage utilisateur pour reproduire l’image qu’il voit et qu’il veut diffuser seul compte la quantité de lumière qui vient frapper le capteur et se transformer en signal vidéo couleur (RVB) qui sera ensuite modulé (ou mixé) en fonction du gain ou du degré Kelvin choisi et aboutira à une image plus ou moins bleu, verte ou rouge et plus ou moins « lumineuse » après traitement.

 

 

 

Le Raw consiste donc à ne pas traiter de la sorte le signal mais à le conserver dans l’état qu’il connait au sortir du capteur et donc à ne pas dé-Bayériser, et donc à ne pas utiliser une courbe Gamma. La somme de données informatiques est donc moins considérable que si l’on procédait à tout ces ajustements ou traitements, et permet de ne pas le « compresser ». Pour ce qui concerne les caméras, photo ou vidéo, dédiées au seul noir et blanc (Ikonoskop, Red, Leica M) là aussi le procédé consiste à simplifier le traitement en retirant le filtre de Bayer, qui nous l’avons compris ne sert qu’à injecter des informations de couleurs dans le traitement de la lumière reçue par le capteur. Cela rajoute du piqué et de la définition à l’image monochrome qui dispose de tous ses capteurs pour travailler sans être déformée par l’effet de Bayérisation. Le traitement étant extériorisé les premières Red ne pouvaient même pas relire leurs propres images, et l’utilisation d’une carte vidéo RedRocket est fortement conseillée pour pouvoir lire et transcoder ces images. Cependant les capteurs agrandissant leurs diagonales se voient aussi améliorés dans leurs capacités à capter les hautes lumières. en un mot il est maintenant utile d’avoir une très grande plage dynamique de l’image. C’est ce que le capteur Dragon de chez Red nous promet avec plus de 20 Stops de dynamique.

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Pourtant on devra toujours passer par l’étape de dé-Bayerisation pour lire cette image, ce temps de traitement et de calcul est donc repoussé à plus tard. Mais on pourra aussi y ajuster le gain, ou la balance des blancs en fonction de ses propres choix. D’autant plus, rappelons le, que désormais on dispose des informations totales de l’image dans les noirs, les skintones ou les hautes lumières. Mais à ce niveau là il faudra encore choisir entre caméras disposant d’un très large capteur, celles proposant du Raw, ou du DNG, entre celles disposant d’un encodage parfois médiocre en interne mais offrant d’autres possibilités en externe, ou compressant de manière habile les fichiers afin de pouvoir réduire aussi les couts en post production, stockage et autres sans pour autant nuire réellement à l’image vue par un oeil humain. Le RedCode est le seul procédé connu et autorisé à ce jour qui permet de réduire les données de ces images Raw (Red est le seul à posséder la licence Raw pour la vidéo, les autres ne le font qu’à travers du CineDNG ou un « Raw » Maison comme Sony ou Arri. Il permet un taux de compression plus ou moins variable afin de ne pas se retrouver avec des Téra-octects de données pour un film de 5 minutes. On revient sur cela dans un prochain billet.

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Le cinéma iranien, troisième partie : entre reflet de la société et outil diplomatique.

En plus d’avoir pour décor les magnifiques et très variés paysages d’Iran il arrive parfois que le cinéma s’intéresse aussi à ces populations périphériques ou minoritaires, les kurdes pour « Un temps pour l’ivresse des chevaux » ou les tribus nomades du sud-est du pays (L’Iran est le deuxième pays au monde en nombre de nomades après la Mongolie).  Ou, comme le fit Mohsen Makhmalbâf avec « Gabbeh« en 1995 en suivant les tribulations d’une tribu Qashqâ’is (leurs noms aujourd’hui est malheureusement associé à un modèle de voiture Nissan). Il raconte une histoire d’amour entre une jeune fille et un cavalier, mais avant tout, fait de ce mode de vie une oeuvre à part entière. Un peu comme avait tenté de le faire en 1925 Merian C.Cooper (qui réalisera « King Kong » en 1933) le réalisateur originaire de Floride fait de « Grass » une oeuvre à mi-chemin entre l’ethnographie, le documentaire et le journalisme. Il y suit la transhumance des Bakhtiâris, véritable force politique dans l’Iran d’alors, cette tribu très hiérarchisée et liée aux intérêts étrangers notamment aux compagnies pétrolières anglaises, ce que l’auteur semble ignorer en voulant partir avec sa caméra à la rencontre d’un « peuple oublié ». Malgré ces erreurs, et loin des effets spéciaux, du Cinérama ou du Technicolor, qu’il utilisera pus tard, ce document noir et blanc, muet, filmé dans des conditions extrêmes et montré sur une musique traditionnelle persane est alors loin des clichés hollywoodiens qui seront plus tard servis sur l’Iran.

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Encore une fois, et surement signe de sa grande vitalité, la cinéma iranien va muter. Il était jusque là un cinéma d’auteurs, subventionné, dont les personnages était souvent des enfants, et va devenir un cinéma de productions privées et surtout de vedettes (qui vont contribuer à l’essor de l’industrie qui se maintiendra pourtant toujours à l’écart du cinéma commercial d’avant la révolution).

Lors de cette mutation apparaissent de nouveaux thèmes dont un cinéma de comédie porté par exemple par des réalisateurs comme Latifi ou Tahmâseb. Des sujets tabous sont désormais abordés de manière poétique, et, des histoires d’amour sont désormais mis en scène comme le fut « La mariée » de Afkahmi.

Les réalisateurs doivent faire preuve d’une mise en scène audacieuse pour compenser dans leurs histoires notamment sentimentales, l’interdiction de contact entre un homme et une femme. Pour palier à cela ils vont utiliser toute une sémiologie qui va créer une grande intensité et une belle poésie à l’image. Tout d’abord, à travers un jeu de regards subtile et fondamentale. Ainsi dans le « Foulard bleu » l’ouvrière détourne la tête lorsqu’elle s’adresse à son patron, mais le dévore des yeux dès qu’elle pense qu’il ne la voit pas. Dans « Le ruban rouge » la même situation entraine un comportement inverse ou la femme fixe l’homme et le défi jusqu’à ce qu’il capitule en baissant les yeux.

Ensuite il est courant que le montage avorte un mouvement, un contact entre des corps masculins et féminins, en laissant imaginer la fin du geste par le spectateur. Pour combler ce vide à l’image il n’est pas rare que les personnages, lors de scènes d’adieu, reviennent l’un vers l’autre alors que leurs conversations sont terminées, juste pour que ce subterfuge rende le récit moins froid et plus réaliste. Il s’agit du même procédé lorsque les caresses ou les contacts se font par l’intermédiaire à l’écran d’objet (un piano, une valise, un ruban, des fleurs) voire de la chevelure d’un enfant, le couple ne se touche pas directement mais leur affection se matérialise par le biais de leur fille. Pour revenir au doublage des films étrangers, il n’était pas rare après la révolution qu’afin de faire correspondre ces productions à la morale islamique on transforme des amoureux en proche parents afin de justifier une trop grande proximité.

Enfin c’est le hors champ qui est très utilisé pour masquer une partie du corps qui devrait rentrer en contact entre deux personnes. Toutes ces techniques font parties de la grammaire du cinéma iranien et y rajoute une grande poésie. Je me permets ici une comparaison osée, car il est en effet quasiment impossible de trouver en Iran un quelconque cinéma de genre, que ce soit de science-fiction, d’horreur ou même d’action, mais j’ai une affection particulière par « Jaws » de Spielberg et notamment parce qu’il a réussi à faire peur à des générations de spectateurs sans montrer le requin avant plus de 45 minutes de film. Or le script initial devait faire apparaitre le mangeur d’homme dès la scène d’ouverture de la baignade de nuit. Mais la maquette du grand blanc, malgré des test en piscine, ne fonctionnait plus dans l’eau salée. Il dut trouvé un palliatif, que furent la musique et la caméra subjective, le hors champ, le regard.

tournage téhéran

 

Autre fait important de cette période et de cette évolution l’ouverture de l’industrie aux femmes. Jusqu’ici  seule la poétesse Forough Farokhzâd, réalisatrice notamment de « La maison noire » en 1962, représentait le cinéma iranien.  C’est d’ailleurs un fait souvent ignoré et assez contradictoire avec l’idée que l’on se fait de l’Iran révolutionnaire, mais les femmes voilées ont eu un accès plus grand et plus libre à l’espace public, à l’université et au monde de l’entreprise (y compris celle du cinéma) ou au militantisme politique et aux fonctions qui en découlent que sous le Shâh. Ainsi, des salles réservées au public féminin ouvriront dès 1928 à Téhéran mais faute de spectatrices fermeront très vite. Le reste des salles étant mixte mais les hommes et les femmes occupant chacun un coté de la pièce de manière séparée.

Dès 1987 on avait pu apprécier « Le petit oiseau du bonheur » de Pourân Derakhshandeh puis en 1989 Tahmineh Milâni s’interroge sur le divorce et sur ses effets sur les enfants, enfin, en 1993 Rakhshân Bani-e’temâd questionne le spectateur sur les inégalités hommes-femmes  dans « Le foulard bleu« , qui met en scène un amour scandaleux entre une ouvrière et son patron. En parallèle de ce questionnement sur la société révolutionnaire et ses rapports de classe, le secteur culturel se « privatise » en cela que les subventions publiques se réduisent et que les productions privées se multiplient, mais l’industrie se dote en 1993 d’un syndicat, le foyer du cinéma (Khâneye cinéma).

Le XXIème siècle va offrir un cinéma encore plus diversifié et productif, qui va, en allant  puiser dans la richesse des cultures iraniennes, connaitra de grands succès internationaux. Ainsi, Bahman Ghobâdi va installer sa caméra dans l’ouest du pays, au Kurdistan, et va s’intéresser au sort de ses populations à la fois très pauvres économiquement, et riches de traditions millénaires, le tout dans un décor fait de paysages fantastiques et sur une musique du grand compositeur Alizâdeh. « Un temps pour l’ivresse des chevaux« , un des plus beaux films que j’ai eu à voir,  obtiendra d’ailleurs la caméra d’or à Cannes en 2000.

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Enfin, comment ne pas évoquer « Sous le clair de lune » réalisé en 2001 par Mir Karimi, lui même réalisateur très religieux, qui va suivre les pas d’un « Rohâni » (diplômé d’une école religieuse et qui doit aller faire appliquer les décrets de l’Islam dans la société) et sa caméra va nous montrer cette vie simple, ordinaire et si mystérieuse pour bien des spectateurs et, d’autre part, véhiculer un message de responsabilité lourd envers les dirigeants de l’Iran révolutionnaire. Le film met, ainsi, en scène toutes les contradictions entre tradition et modernité. Si les films persans d’inspiration indienne ou égyptienne n’avait aucun lien avec une quelconque réalité iranienne, ce nouveau cinéma, lui, est directement ancré dans son territoire, dans sa société et dans ses nouvelles moeurs.

Le cinéma iranien comme outils diplomatique?

Dès les années 90 le cinéma iranien accède au succès mondial et de la reconnaissance par ses pairs. Grâce principalement au génial Abbâs Kiârostami qui avait fait ses premiers pas auprès du Kânoun et dont Kurosawa le maître japonais dira  de lui: « Les mots ne peuvent traduire mes émotions et je vous conseille simplement de voir ses films« .

Il va enchainer les succès très rapidement, quasiment un film par an. Dès 1989 on découvre « Où est la maison de mon ami« , puis « Close up« , « La vie continue« , en 1994 le très beau « Au travers des oliviers » (qui met en abîme l’utilisation d’acteurs amateurs dans les films iraniens)  et trois ans plus tard, la Palme d’or récompensera enfin « Le goût de la cerise » qui confirme le statut du cinéma iranien au niveau mondial, deux avant « Ballon blanc« réalisé par Jafar Panahi qui avait déjà obtenu la caméra d’or toujours à Cannes et en 1996 c’est  un documentaire, »Une histoire vraie » de Yek dastan-e vaghe’i qui fut récompensée au Festival des trois continents de Nantes. Certains pourront croire qu’il s’agit là de films justement calibrés pour les festivals et la critique internationale mais, il suffit de très peu de temps au spectateur pour plonger dans cet univers de cinéma véridique et indispensable.

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Plus encore cette fusion cinématographique de la fiction et de la réalité doit énormément à l’oeuvre de Majid Majidi qui filme le chagrin des gens ordinaires et l’innocence des enfants dans des paysages de campagne splendides plein de nuances. Ainsi, « Les enfants du ciel »  qui concourra en 1998 à l’Oscar du meilleur film étranger et plus encore « La couleur du paradis » qui met en scène un enfant aveugle qui vit avec son père peu affectueux parcourant le pays à cheval, le temps des vacances, afin de rentrer dans son village natal du nord de l’Iran, depuis son école pour aveugles située à Téhéran. Une fois de plus les paysages iraniens sont au coeur de l’oeuvre.

On l’a dit, la production filmique est depuis la révolution l’oeuvre de l’état qui, même s’il s’est ouvert à une certaine privatisation, garde un oeil censeur sur les créations et les sorties en salles. Pour produire et contrôler, le pouvoir dispose de nombreux outils, notamment des ministères, des fondations (la fondation Fârâbi était en 1990 le plus grand producteur cinématographique du pays, si son rôle a diminué il reste important dans le contrôle des importations, des exportations et du financements des films), ou des institutions étatiques comme la filiale de la télévision gouvernementale (IRIB), Simā Films qui produit essentiellement des fictions dramatiques ou des comédies.

Une institution comme le Kanoun va également « survivre » à la révolution islamique et de nombreux films iraniens lui doivent leurs succès tant en Iran qu’à l’International. En parallèle l’Organisation de propagande islamique (OPI) produit sans subir de censure plusieurs dizaines de films par an depuis 1980 qui après avoir largement traité des années de guerres sont aujourd’hui tournés vers un cinéma populaire destiné à la jeunesse du pays.

 

En Iran nous l’avons dit, un festival « international », celui de Fajr,  récompense du Simorgh de cristal chaque année les meilleurs films iraniens mais aussi étrangers. Pourtant les réalisateurs de ces films internationaux sont rarement présents et leurs oeuvres rarement projetées dans leur intégralité. Certains cinéastes iraniens comme Parviz Shahbâzi déclarant même que « la section internationale du Festival n’a qu’une fonction décorative« . Cela s’oppose à l’esprit du premier festival de cinéma fondé en Iran en 1950 qui lui ne diffusait que des productions britanniques et françaises. Pourtant, le festival de Fajr est malgré tout, aujourd’hui une occasion unique pour les spectateurs de visionner de tels films du répertoire mondial.

20 ans après la mise en place du Festival l’Iran va se doter d’un musée du cinéma, que le Président de la République Mohamad Khâtami va inaugurer en 2002. Il possède une grande salle de projection et de nombreuses archives, très riches, sur les précurseurs du cinéma iranien, dont des documents ayant appartenu à l’ancien régime (la République n’a pas fait table rase ici). Les techniciens et leurs matériels (dont ceux des ingénieurs du son qui ont permis de capturer lors du tournage la voix des acteurs pour se défaire des doublages post-synchronisés), les réalisateurs et les acteurs  du cinéma contemporain sont aussi mis à l’honneur, ainsi que les films ayant obtenus des consécrations internationales dans des festivals à travers le monde.

Fajr festival Iran

 

Le cinéma iranien dans son ensemble est donc célébré comme pour montrer que l’objectif de la révolution est atteint, celui de faire connaitre et reconnaitre son identité à travers un cinéma respectant la « guidance islamique » dans une industrie moderne et mondialisée largement dominée par l’occident. À cela de nombreuses voix s’indignent de la censure que connaissent les réalisateurs iraniens.

Mais rappelons le, la censure cinématographique exista dès 1900 en Iran où les « lecteurs » de commentaires changeaient le fond des textes insérés dans les films muets pour respecter la morale ou le pouvoir en place. Sous le Shâh elle s’officialise en mettant en place un officier municipal qui doit viser le film avant sa diffusion. Puis va être créée une commission de projection qui doit écarter les oeuvres heurtant la religion, la morale, la monarchie, l’unité nationale voire des puissances étrangères ou plus étrange encore celles « nivelant par le bas le gout du public ». C’est aussi, souvent, en modifiant le doublage que les diffuseurs de films étrangers s’en sortent en modifiant certes le scénario mais aucun studio indien, égyptien ou occidental n’avait l’air de s’en plaindre.

Aujourd’hui la censure et le cadre législatif restrictif modifient donc plutôt en amont la manière de faire un film. Y compris malheureusement par le choix de certains cinéastes de s’exiler.

La Révolution islamique, la guerre et le cinéma de « défense sacrée ». (Le cinéma iranien, deuxième partie)

Tout d’abord de nombreuses salles vont disparaitre, être fermées ou brulées en cela que le cinéma véhiculerait des valeurs occidentales pour certains révolutionnaires qui veulent faire table rase du passé, des symboles faciles de l’ancien régime. Dès les années 70 de nombreux intellectuels iraniens avaient reprochés au cinéma « l’occidentalisation » forcée de leur pays.

S’il ne reste déjà plus que 300 salles de projection au lendemain la révolution, 1981 marque encore plus la mort d’un certain cinéma. Cette année là 3 films iraniens seulement, seront produits,  et la majorité des salles fermeront dans la foulée de l’occupation par les militants révolutionnaires de l’ambassade des États-Unis d’Amérique. Ceci créant une forte baisse des importations de films et une interdiction des films occidentaux et entrainant une forte baisse de la fréquentation des salles.

Pourtant les messages et recommandations de l’Ayatollah Khomeyni semblent ne s’attaquer qu’aux seules oeuvres de propagande. Le Guide Suprême de la Révolution, à cette occasion précisera : »Nous sommes contre les cinémas dont les programmes corrompent nos jeunes et notre culture islamique, mais nous approuvons les programmes édifiants qui aident au développement sain de la morale et de la science dans la société. »

Cette mort n’allait pas durer et la renaissance qui allait lui succéder, si elle était accompagnée de contraintes, allait lui bénéficier sur le plan de la qualité. La jeune république va « nationaliser », et bien sur islamiser le cinéma, qu’elle va l’encadrer et le subventionner.

La législation mise en place dès 1984 précise qu’un film devra désormais être utile à la société et ne pourra pas blasphémer les religions officielles du pays, et devra aussi éviter des idéologies subversives.

Voilà pour la partie écrite, à laquelle viennent s’ajouter de nombreuses règles tacites qui empêcheront le réalisateur, de provoquer de la sympathie pour les personnages de criminel, de créer auprès du public la tentation du péché et notamment celui de la consommation de drogue. Enfin la règle la plus connue restant celle concernant le port du hijab pour les femmes apparaissant à l’écran même lors des scènes tournées en intérieur. En Iran si le voile est obligatoire dans l’espace public, on devrait plutôt parler de foulard le foulard, les femmes sont tête nue une fois au sein de l’intimité de leurs foyers. Les conditions d’un tournage et son mode de diffusion ne permettant pas de correspondre à cette intimité on voit à l’écran des scènes »intérieures » avec des femmes voilées, y compris lorsqu’elle sont dans un lit.

affiche guerre

Mais l’étude de la production cinématographique des années 80 laisse entendre qu’il s’agit bien moins d’une renaissance que de l’émergence d’un nouveau cinéma révolutionnaire largement transformé par son époque. En effet lorsque la guerre Iran-Irak éclate, ce nouveau cinéma est encore très fragile et s’il est encadré il faudra aussi que le nouveau régime le soutienne pour ne pas le voir disparaitre. Pour cela, une série de mesures économiques sont prises favorisant l’importation de matériel technique en fournissant des devises étrangères à son industrie cinématographique, mais aussi en la faisant bénéficier de réductions de taxes et d’impots ainsi que d’une redistribution des bénéfices issus des films étrangers en faveur de la production nationale.

En parallèle de cela l’Iran va aussi se doter de structures telles que, le festival de Fajr dès 1982, ou de la fondation cinématographique Fârâbi  qui vont devoir aider au développement du septième art et, commémorer ainsi, la Révolution Islamique. Car la jeune république et ses dirigeants sont avant tout désireux de ne pas perdre leur industrie culturelle mais veulent aussi défendre des valeurs et aborder la question de la guerre « imposée » qui l’oppose à l’Irak de Hussein soutenu aussi bien par les occidentaux que par le bloc de l’est. Le cinéma iranien devient alors celui de la « défense sacrée » (Defâ’e moghadas). dont les grandes figures de ce style célébrant le martyr et la résistance sont Mortezâ Avini, Mollâgholipour, Ahmadrezâ Darvish et Hâtamikiyâ.Grâce à ces outils, notamment de financement et de promotion, et contrairement à une idée reçue, les cinéastes iraniens vont pouvoir travailler avec une plus grande liberté.

Ce cinéma est un cinéma d’auteur où le réalisateur est plus indépendant par rapport au système de production et surtout c’est un cinéma sans vedettes, ses acteurs sont alors bien souvent des enfants. En abordant ainsi le monde des adultes le cinéaste se permet une critique de la société dans son ensemble de manière plus poétique. À côté des réalisateurs tels que Hâtami, Mehrju’i, Beyzâ’i ou Kiârostami ou Nâderi (qui sortira « Le coureur » en 1985) va apparaitre une nouvelle génération « révolutionnaire »dont, Kâmbuziâ Partovi, Majid Majidi, Alirezâ Dâvoudnejâd, Rasoul Mollâgholipour, Kiânoush Ayyâri, Siâmak Shâyeghi et Rakhshân Bani-E’temâd font parti.

guerre-irak

De cette école de cinéma de guerre vont émerger deux réalisateurs majeurs en Iran :

Tout d’abord Mortezâ Avini, dont le parcours est caractéristique de ce cinéma islamique révolutionnaire. En tant que révolutionnaire, Avini fut d’abord membre de l’organisation de reconstruction urbaine (le Jihad de la construction) qui s’active depuis 1980 dans les villes et villages délaissés jusque-là par l’administration du Shâh. Il réalise alors quelques documentaires puis, dès le début des hostilités il devient sur le front, cinéaste de guerre. Il va alors travailler sur la notion de conquête (au début de la guerre  l’Irak envahit l’Iran assez profondément) tout d’abord avec un film, « Fath-e khoun (la conquête du sang) puis avec une série documentaire « L’histoire de la conquête » qui suivra les soldats iraniens durant les huit années du conflit. Les séries « Haghighat » (La vérité) ou « Revâyat-e fath » (Chroniques de la victoire) diffusées pendant la guerre le sont toujours aujourd’hui et  restent très populaire en Iran, et font de lui le documentariste le plus connu du pays. Il y restitue le quotidien des combattants, rien n’y est reconstitué, tout est pris sur le vif. Chaque film rend aussi compte de l’importance des pratiques et des rituels religieux sur le front et peut être grâce à ces scènes de prières Avini crée des films qui refusent le caractère urgent et dramatique de chaque situation. Il filme le conflit non pas comme on le voit au cinéma ou pire, à la télévision pour expliquer telle ou telle prise ou perte de terrain. Ses films sont comme hors du temps et le spectateur comprend d’une part que le documentaire n’est pas une simple reproduction de la réalité, qu’il s’agit d’un travail de construction mais plus important son évocation intemporelle de cette guerre pose des « problèmes » d’interprétations aux spectateurs, ce qui est très rare dans le cinéma de guerre, il faut bien l’avouer.

sur le front

Pour être complet il faut aussi nous arrêter sur le parcours et les films de Ebrâhim Hâtamikia qui abordera aussi le conflit d’un oeil critique en mettant par exemple en scène des mutilés de guerre qui ne trouvent pas leurs places dans une société qui ne reconnait pas leur sacrifice comme ils le mériteraient. De nombreuses séries populaires présentent à l’époque et quasiment en temps réel la réalité du conflit à travers des fictions, des comédies et des documentaires. Quand on pense qu’il faudra plus de 5 ans aux USA pour que son cinéma aborde la guerre du Vietnam (hormis de très mauvais films de propagandes dont « Bérets verts » de John Wayne) et qu’il le fera toujours de manière unilatérale, on peut être surpris de la place que le conflit prend dans la création culturelle dès 1981, sans beaucoup de moyens et, y compris en y mettant en scène des personnages d’irakiens. À ce titre, combien y a t’il de personnages d’indiens dans les westerns, de japonais dans les fresques sur la guerre du pacifique ou d’algériens du FLN dans les films français sur la guerre d’indépendance, hormis « La bataille d’Alger » réalisé par Gillo Pontecorvo 4 ans après la fin du conflit et interdit de diffusion en France pendant 30 ans.

Les documentaires ou fictions iraniennes sur la guerre donnent à comprendre plus qu’à voir et les réponses qu’elles semblent donner au spectateurs sont souvent extrêmement complexes. Ainsi « La frontière » qui est la première fiction sur cette guerre imposée le personnage irakien est souvent filmé en gros plan  et finit par faire partie de l’environnement mais plus en tant qu’ennemi. Une l’histoire pas si manichéenne qui laisse le spectateur se questionner sur « l’ennemi ».

Le cinéma Iranien (Première Partie) : Des origines à la Nouvelle vague

L’Iran, devrais je dire la République Islamique d’Iran fait l’actualité de la presse internationale quotidiennement, sur le nucléaire, sur ses élections, ses dirigeants, ses forces armées ou que sais-je encore. Mais, loin de ces clichés, le pays reste mystérieux et souvent incompris. Du fait, bien sur, de son isolement imposé, mais aussi de sa langue (que l’on tend à rendre « incompréhensible » en l’appelant Farsi alors qu’on devrait l’appeler Persan) ou encore de son régime politique. Or, afin de mieux comprendre un pays, sa culture et son histoire, avant d’y voyager, j’aime m’y plonger en lisant quelques livres, de la littérature, des récits de voyages, des ouvrages plus politiques ou géopolitiques voire géographiques tout simplement. Mais lorsque l’occasion se présente, le meilleur voyage « initiatique » reste celui de se plonger dans son cinéma. Et dans le cas présent, le pays possède une histoire riche et profonde, un cinéma moderne qui étonne chaque fois un peu plus. Je me devais, après mon billet concernant Argo, de faire une petite mise au point, qui permettra dans un prochain article de faire un état des lieux de la production cinématographique iranienne.

Le cinéma iranien donc, est né à peine cinq ans après les tout premiers tours de manivelles des frères Lumières à Paris. Le 13 Avril 1900 le roi d’Iran Mozaffar Aldin Shâh Qâdjâr est en visite en France. Il y découvre l’appareil de cinématographie inventé il y peu (qu’il appelle cinémaphotographie dans ses mémoires) exposé à la foire internationale de Contrexéville. Étant accompagné de son photographe officiel, qui ouvrira la première salle de cinéma en 1904 en Iran, il lui ordonne de l’acquérir et de lui en faire une démonstration le soir même. Il est subjugué par le 7ème art et va permettre son développement « relatif » en Iran, en y ramenant ce matériel, de chez Gaumont. La quinzaines de films Pathé, qu’il a rapporté dans ses bagages, se limitent alors à des « scènes de rue »et, le public se satisfait alors de cette pure reproduction du réel dans sa durée, sans commentaires ni montage spécifique. Trente ans après son introduction dans le royaume on dénombrera plus de 2000 films produits et réalisés en Iran, pour la majeur partie des courts métrages d’actualité, mais l’essentiel est là, le cinéma est installé dans le pays.

Premières caméras à Téhéran

A l’exemple de ceux tournés par Khan Baba Mo’tazedi qui avait travaillé pour Gaumont en France en tant que cadreur, les films muets de l’époque sont agrémentés de titres ou de commentaires écrits afin de comprendre l’intrigue mais, le public de tradition orale et analphabète  pour la grande majorité réclame qu’un commentateur raconte à voix haute l’histoire pendant la diffusion. C’est par le doublage en persan, aussi bien celui fait  ainsi lors de la projection que celui venant d’une piste audiophonique que le cinéma va devenir populaire.

Le cinéma Palace va diffuser le premier film parlant en 1931 et il faudra attendre encore deux ans pour que Ardechir Irani réalise « La fille de la tribu Lor » le premier film iranien de l’ère moderne, mais, celui-ci est tourné en Inde, pays qui dispose de plus grandes capacités de production cinématographique.  Ce n’est en fait qu’à partir de 1947 que des fictions iraniennes seront effectivement tournées dans le pays qui ne cessera dès lors,  de développer son industrie.

Si les années trente ont vu la création des premières écoles mixtes d’acteurs de film (Parvareshgāh-e artist-e sinemā)  les films projetés sont encore majoritairement des films d’actualité essentiellement consacrés à la vie passionante du souverain. Puis, dès l’occupation conjointe du pays en 1941 par la Grande Bretagne et la Russie, apparaissent des films de propagande doublés en persan pour faire comprendre à l’opinion publique le point de vue des alliés. Le régime hitlérien ne fut pas en reste dans ce domaine en engageant Esmâ’il Koushân, le speaker de la radio iranienne libre, afin de doubler des films documentaires allemands. Ne pouvant rentrer en Iran du fait de son engagement auprès des nazis il continuera son oeuvre depuis Istambul où il doublera d’abord « Premier rendez-vous » une comédie française de Henri Decoin, qui s’appellera « La jeune fugitive » en version persane, puis, « La gitallina » de Fernando Delgado, connu pour ses scènes de danse, qu’il rebaptisera « La tzigane ».  Le 25 avril 1946 à son retour à Téhéran il organisera d’ailleurs une projection de ces deux films pour les notables de la ville. Nous sommes au début d’une période très prolifique d’importation de films étrangers qui seront tous doublés en persan et qui vont rencontrer un succès populaire de l’après guerre jusqu’à la Révolution Islamique et à n’en pas douter la langue persane à jouer un rôle primordial dans ce phénomène.

Début du cinéma en Iran

 

L’étude de l’histoire cinématographique du pays permet d’en comprendre trois phases essentielles : La première donc, allant des années 30 à la révolution, celle du « film persan », n’étant pas forcément la plus intéressante.

C’est un cinéma de divertissement populaire à l’oriental, utilisant les codes des cinémas indien, turc et égyptien, teinté d’un grand moralisme et reproduisant quasiment à l’identique un scénario, sans aucune emprise avec le réel, dans lequel les danses et les chants succèdent à des scènes de bagarres pour finir par un heureux mariage entre un « Louti » et la femme qu’il a pu sauvé, grâce à ses exploits, de la misère ou de la luxure à laquelle elle était vouée. On y oppose souvent le travailleur des campagnes si pure à d’odieux citadins corrompus.

Cette formule de fil-e fârsi (film persan) marquera pourtant pour longtemps le cinéma iranien car il s’agit des seuls films qui sont diffusés dans le royaume dans les 524 salles en activitées jusque dans les années 70.

Esmâ’il Koushân, toujours lui, fonda dès 1947 la première société de production iranienne, Pârs Film qui sera le principal studio de création jusqu’à la révolution islamique. Il y produit le premier mélodrame parlant iranien « La tempête de la vie » (Toufân-e Zendegi) qui sera annonciateurs du succès de ce style cinématographique dans le pays. L’engouement pour le 7ème art fut tel dans le pays que de nombreuses salles ouvraient en provinces, dans lesquelles on pouvait compter jusqu’à 6 séances quotidienne. Plus de 8 studios de doublage co-existaient dans la capitale, concurrencés par celui de Alex Aghâbâbiân, un arméno-iranien qui depuis l’Italie va doubler de nombreux succès d’origine transalpine.

En 1959 on compte plus de 180 films doublés projetés dans le pays où l’on recense plus de 22 sociétés de production. Cet art du doublage va contribuer au succès populaire du cinéma à tel point que même les films produits en Iran y auront le droit afin de palier aux nombreux problèmes techniques rencontrés lors du tournage, que ce soit par un doublage par les acteurs eux mêmes ou par une post synchronisation par des doubleurs professionnels. Ceux-ci officiaient déjà pour les productions étrangères et notamment les westerns pour lesquels ils faisaient preuve d’un certain talent pour adapter les paroles « exotiques » au contexte local. Il ne faut pas oublier aussi que le pouvoir politique allait trouver dans cet art populaire doublé en persan un moyen de promouvoir une langue officielle commune, dans cette même optique le persan sera utilisé comme langue principale à la télévision iranienne.

 

le film persan

Si c’est bien, on l’aura compris, la Révolution islamique qui va modifier définitivement la face du cinéma iranien, il y a eu, ne l’oublions pas, quelques films marquant dès les années 60 jusqu’à l’époque pré-révolutionnaire qui vont enclencher, en quelque sorte cette transformation, un peu à l’image de celle que traverse le pays et ses institutions. Il s’agit là d’une première phase distinctive en cela qu’elle se définit elle même de la sorte. Ce cinéma « différent » (cinemâ-ye motafâvet) apparait donc dans les années soixante. Il s’agit d’un cinéma sérieux ou d’auteur, plus intellectuel dont les réalisateurs sont d’une part des bons connaisseurs de la littérature iranienne et internationale mais aussi du cinéma mondial, de ses codes et de ses techniques, car pour la plupart ils ont fait leurs études à l’étranger. La qualité tant des scripts que de la fabrication des films sur un plan technique s’améliore grandement à cette époque.

 

la « naissance » du cinéma iranien?

Première figure de cette « nouvelle vague iranienne », le réalisateur Farrokh Ghaffâri qui fut l’assistant de Henri Langlois et va d’ailleurs fonder la cinémathèque iranienne. En 1964 il s’inspire des « Milles et une nuits » pour réaliser « La nuit du bossu » (Shab-e Ghouzi) une comédie qui dénonce l’hypocrisie de la société et qui reçoit les honneurs du public et de la critique notamment de Hajir Dârioush (également réalisateur) qui n’hésite pas à écrire qu’il s’agit là de « la naissance du cinéma iranien ».

Aux côtés de Ghaffâri et de Dârioush on trouve, dès 1963, le poète Fereydoun Râhnamâ réalisateur de « Siâvosh à Persépolis » ou un an plus tard, l’écrivain Ebrâhim Golestân avec « La brique et le miroir« , premier film à s’attaquer à la situation miséreuse des classes populaires mais surtout à dépasser le cliché habituel de l’image de la femme qui, jusque là était soit vertueuse soit impudique, à la manière dont on opposait aussi l’urbain au rural.

Cette période prérévolutionnaire voit aussi la création de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (Kânoun), un centre éducatif et artistique dont la section cinéma accueille notamment Bahrâm Beyzâ’i ou Abbâs Kiârostami. Ce dernier va y réaliser de nombreux courts métrages dont « Le pain et la rue » en 1970 ou « La récréation » l’année suivante.

Deux films vont particulièrement marquer les iraniens et les messages qu’ils véhiculent ne sont surement pas étrangers à leurs succès populaires : « Gheysar » de Massoud Kimiâi et « La vache » (Gâv) de Dârious Mehrju’i, une adaptation d’une nouvelle éponyme de l’écrivain Gholâmhossein Sâ’edi. Les deux films, à leurs manières, sont des appels à un changement de régime et une critique forte du déshonneur de la société.

Les années 70 verront apparaitre beaucoup de chef d’oeuvres du cinéma iranien dont certains sont notamment des hommages au cinéma français et à sa nouvelle vague et qui obtiendront des récompenses internationales. Ainsi  « Les Mongols » de Parviz Kimiâvi ou « Un simple événement » puis « Nature morte » de Sohrâb Shahid-Sâles (Ours d’argent à Berlin en 1975) succèdent aux autres créations de Kimiyâi « Rezâ le motard » puis « Dâsh Akol« , ou celle de Mehrju’i « Monsieur naïf » et enfin l’excellent « Adieu camarade » de Nâderi.

La vache

 

Cette « nouvelle vague » iranienne est le fait de quelques réalisateurs qui vont quitter le syndicat officiel de la profession, mis en place dès 1964 pour créer, le groupe des réalisateurs progressifs. Et si l’on devait n’en garder qu’un pour comprendre la société iranienne de l’époque prérévolutionnaire ce serait surement « La tranquillité en présence des autres » réalisé en 1974 par Nasser Taghvâ’i. Le film, qui sera censuré et interdit pendant quatre ans, une adaptation d’un nouvelle de Sâ’edi, raconte la déshérence d’une famille et de son entourage qui sombre dans la débauche à l’image de l’Iran de l’époque. Désormais la censure et l’ambiance politique marquent non seulement un déclin dans la production cinématographique (malgré les sorties du « Cercle » de Mehrju’i en 1978 ou un an auparavant des « Endoloris » de Ali Hâtami) mais c’est en fait à la mort « d’un certain cinéma » iranien que l’on assiste car celui qui va lui succéder après la révolution sera bien différent.

Cette période aura vu la réalisation de près d’un millier de film se réclamant de cette nouvelle vague, dont un grand nombre sont surement des chefs d’oeuvres malheureusement inconnus en occident.

De quoi Aaton est-il le nom?

La France se targue d’être un grand pays de cinéma ou du cinéma selon que l’on aille jusqu’à penser qu’elle l’a inventé et qu’elle se situe au centre de ce monde. Pourtant c’est bien à l’écart de tout cela loin en périphérie que se trouve sa place en matière de développement et de fabrication de caméras ou d’enregistreur sonore.

Beauviala_Aaton

Jean-Pierre Beauviala, ingénieur conseil chez Éclair-caméras fonda il y a quarante ans la société Aaton afin de proposer des caméras ergonomiques et de grande qualité ainsi que le Cantar un enregistreur numérique. Voilà pour l’histoire rapide, mais dernièrement Aaton tentait de sortir sa première caméra numérique en cherchant à proposer un matériel suivant le même cahier des charges que pour celles utilisant la pellicule. Beauviala désirant avec sa Pénélope-Delta, pouvoir rivaliser avec la qualité d’une image analogique et avouait que pour atteindre ce but il s’était tourné vers le meilleur capteur au monde. Le dispositif et la démarche semblent intéressants je vais donc les résumer ici. Tout d’abord le constructeur en question fut Dalsa, une entreprise canadienne spécialisée dans le domaine des capteurs et des semi-conducteurs, créée en 1980 et, propriété, depuis 2010 du groupe Teledyne Technologies. La sonde Curiosity et de nombreux satellites de la NASA sont en effet équipés de capteursDalsa restituant, parait-il, une colorimétrie parfaite nécessaire à la lecture des masses rocheuses de Mars.

Autre ajout technologique voulu par Aaton et qui en dit long sur leur philosophie, un procédé d’imitation de la pellicule et de sa manière de capter les photons. Le capteur numérique devait mimer les grains sensibles à la lumière grâce à un cadre en titane souple mais très robuste permettant un déplacement aléatoire du capteur à chaque image (de l’ordre de un demi pixel, qui est recalculé est donc corrigé par la suite). Pas de 3D, pas de capteur surdimensioné, pas de haute fréquence d’images par seconde, Aaton devait séduire son public sur la base de ces caméras argentiques et de son savoir faire en la matière. Beauviala défendait alors le cinéma comme une interprétation de la réalité et non pas comme une reproduction naturaliste.

Penelope interface

Si Aaton est rentrée tardivement sur le marché du numérique c’est avant tout par amour de la pellicule, mais aussi parce que cette vision qualitative de l’image de cinéma entrainait forcément une critique acerbe mais étudiée de celle produite par les concurrents passés ou créé à l’ère numérique. Cette vision un peu passéiste Beauviala la revendiquait presque en affirmant que la « révolution numérique est venue par la projection en salles ».  S’il ne se trompait pas dans son constat sur cette imposition et ses raisons par les grands studios il oubliait toutefois que avant de pouvoir être projeté ainsi le numérique existait en tant que caméra et que Dalsa par exemple proposait en 2006 déjà un engin capable de 4K. Qu’il ait voulu dès lors rentrer dans l’arène de cette révolution en cherchant à développer une caméra ergonomique et de qualité reste un point que l’on ne peut reprocher à Beauviala.  Pour le reste c’est bien la recherche est développement qui a plongée Aaton dans le gouffre, car le problème vint du capteur en question qui a vouloir trop en faire n’était pas capable de restituer une image de qualité. La caméra numérique n’est pas (plus) une simple conversion d’un modèle argentique en un modèle sur lequel on a placé un capteur mais bien une conception à part entière avec un cahier des charges bien précis. Et c’est donc ces choix techniques qui aujourd’hui coutent à Aaton d’être placée en redressement judiciaire.

Aaton est donc le nom d’un concept « du chat sur l’épaule » concurrencé par des usines à gaz numérique, véritable jeu de mécanos très dur à équilibrer et à aimer en tant qu’objet. Des caméras au large capteur qui encode parfois en 8bits , mais les productions ne se posent pas ce genre de questions, et qui à l’air de couter si peu que tout le monde à en une au fond d’un tiroir. Aaton est le nom de la fin d’une époque, celle de la pellicule et des laboratoires notamment en France. Aaton est le nom d’une industrie qui en passant au numérique à tout prix, le fait surtout sur le dos de la qualité. Aaton est le nom d’un monde où il est dur de trouver désormais de la pellicule pour des projets et des caméras alternatifs. Aaton est le nom d’une jolie société qui a pensé que si elle savait faire (plutôt bien) des caméras elle passerait sans problème à la commercialisation d’un modèle numérique mais qui a du se rendre à l’évidence que son fournisseur de capteurs, lui n’était pas à la hauteur, mais un peu trop tard. Aaton est le nom qu’on aimait bien d’un temps où l’on connaissait encore le nom de l’ingénieur qui développait le matériel qu’on utilisait avec plaisir, aussi parce qu’il avait de la gueule et que le résultat, après développement se projetait sur un bel écran dans un format un peu plus beau et grand que le 2 ou 4K que notre salon accueillera l’année prochaine.

Le Cinéma français qui s’offusque des salaires de ses acteurs, qui comprend mal comment un projet largement financé par ailleurs vient tout de même quémander une participation des internautes pour boucler son budget, et dans notre cas qui ne comprend pas pourquoi le troisième pays du cinéma n’est pas capable de proposer une caméra française, devrait surtout se poser la question du modèle économique de son industrie et de sa capacité à investir dans la recherche et le développement et à soutenir une industrie de pointe. Aaton reste viable souhaitons leur le meilleur et de traverser cette crise (une de plus) pour enfin nous délivrer leur projet de petite caméra numérique de documentaire visé reflex type A-Minima c’est le plus grand mal que l’on se souhaite.

Loin de cette ambiance de fin de séance dans un tribunal qui jugera de la faisabilité et du projet du futur repreneur de Aaton je voulais profiter de ce billet pour vanter les qualités d’un petit produit simpliste néozélandais d’origine que j’ai adopté pour les timelapses que je devais réaliser avec un appareil photographique reflex numérique.

Syrp_Genie

Le Syrp c’est son nom, combine un moteur capable de rotation à 360° ou de travelling le long d’une petite cordelette et un cerveau-logiciel, capable de communiquer avec n’importe quel hdslr du marché afin de déclencher l’appareil après chaque mouvement à la vitesse voulu par l’utilisateur. Un petit compagnon idéal pour les pans parfaits et les travellings impossibles, la caméra fixée sur un simple skateboard tracté par une corde attachée à un arbre…

Vous l’aurez compris on est loin de la technicité du capteur Dalsa dont on parlait plus haut, mais, la robustesse et le plaisir de se construire des plateformes que l’on pourra rendre mobile grâce à ce petit boitier qui va piloter lui même le timelapse donne envie d’aller vous poser au bord d’un beau paysage après quelques construction de mécanos et de lancer l’enregistrement en Raw et pourquoi pas en HDR (si vous avez la patience de combiner, fusionner et ajuster autant d’images nécessaires à votre film). Voilà à quoi je passe mon temps en ce moment même. Un grand merci à Syrp pour leur petite invention sans prétention dont j’espère pouvoir vous faire un compte rendu complet au cours d’un tournage à venir. Aller à la pêche aux informations sur leur site vous tomberez sous le charme.

http://syrp.co.nz/products/

Autopromotion

Je profite du NAB 2013 pour faire un peu d’autopromotion du travail que j’ai pu effectuer ces derniers temps notamment pour des télévisions et clients au Moyen Orient mais aussi en Europe. Ces images proviennent de quelques beaux voyages à Singapour avec Benny Ong, à Jakarta, en Europe du nord ou de l’est, à Paris pour des timelapses , au Liban, dans des camps de réfugiés avec l’UNRWA  et jusque sur quelques plages Cannoises aussi avec Clémence Poesy.  Dans le déluge d’annonce du salon mondial de Las Vegas dont je promets de faire prochainement un petit compte rendu et une analyse des tendances voilà un peu de nostalgie et un retour sur un peu plus d’un an de travail et de rencontres.

De la disparition de l’image

De la pellicule, au numérique en terminant par l’audio

Bonjour, le premier épisode du Podcast de l’eau libre sous toutes ses formes est en ligne. Invité Jacques Tuset

Il s’agit d’une reconversion ou presque après avoir tourné, produit et post-produit de nombreux formats en pellicule ou en vidéo analogique et numérique depuis des années j’ai eu envie de produire de A à Z une série de podcast sur l’eau libre et la nage longue distance.