Emmanuel Hiriart- Directeur de la Photographie

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Le cinéma Iranien (Première Partie) : Des origines à la Nouvelle vague

L’Iran, devrais je dire la République Islamique d’Iran fait l’actualité de la presse internationale quotidiennement, sur le nucléaire, sur ses élections, ses dirigeants, ses forces armées ou que sais-je encore. Mais, loin de ces clichés, le pays reste mystérieux et souvent incompris. Du fait, bien sur, de son isolement imposé, mais aussi de sa langue (que l’on tend à rendre « incompréhensible » en l’appelant Farsi alors qu’on devrait l’appeler Persan) ou encore de son régime politique. Or, afin de mieux comprendre un pays, sa culture et son histoire, avant d’y voyager, j’aime m’y plonger en lisant quelques livres, de la littérature, des récits de voyages, des ouvrages plus politiques ou géopolitiques voire géographiques tout simplement. Mais lorsque l’occasion se présente, le meilleur voyage « initiatique » reste celui de se plonger dans son cinéma. Et dans le cas présent, le pays possède une histoire riche et profonde, un cinéma moderne qui étonne chaque fois un peu plus. Je me devais, après mon billet concernant Argo, de faire une petite mise au point, qui permettra dans un prochain article de faire un état des lieux de la production cinématographique iranienne.

Le cinéma iranien donc, est né à peine cinq ans après les tout premiers tours de manivelles des frères Lumières à Paris. Le 13 Avril 1900 le roi d’Iran Mozaffar Aldin Shâh Qâdjâr est en visite en France. Il y découvre l’appareil de cinématographie inventé il y peu (qu’il appelle cinémaphotographie dans ses mémoires) exposé à la foire internationale de Contrexéville. Étant accompagné de son photographe officiel, qui ouvrira la première salle de cinéma en 1904 en Iran, il lui ordonne de l’acquérir et de lui en faire une démonstration le soir même. Il est subjugué par le 7ème art et va permettre son développement « relatif » en Iran, en y ramenant ce matériel, de chez Gaumont. La quinzaines de films Pathé, qu’il a rapporté dans ses bagages, se limitent alors à des « scènes de rue »et, le public se satisfait alors de cette pure reproduction du réel dans sa durée, sans commentaires ni montage spécifique. Trente ans après son introduction dans le royaume on dénombrera plus de 2000 films produits et réalisés en Iran, pour la majeur partie des courts métrages d’actualité, mais l’essentiel est là, le cinéma est installé dans le pays.

Premières caméras à Téhéran

A l’exemple de ceux tournés par Khan Baba Mo’tazedi qui avait travaillé pour Gaumont en France en tant que cadreur, les films muets de l’époque sont agrémentés de titres ou de commentaires écrits afin de comprendre l’intrigue mais, le public de tradition orale et analphabète  pour la grande majorité réclame qu’un commentateur raconte à voix haute l’histoire pendant la diffusion. C’est par le doublage en persan, aussi bien celui fait  ainsi lors de la projection que celui venant d’une piste audiophonique que le cinéma va devenir populaire.

Le cinéma Palace va diffuser le premier film parlant en 1931 et il faudra attendre encore deux ans pour que Ardechir Irani réalise « La fille de la tribu Lor » le premier film iranien de l’ère moderne, mais, celui-ci est tourné en Inde, pays qui dispose de plus grandes capacités de production cinématographique.  Ce n’est en fait qu’à partir de 1947 que des fictions iraniennes seront effectivement tournées dans le pays qui ne cessera dès lors,  de développer son industrie.

Si les années trente ont vu la création des premières écoles mixtes d’acteurs de film (Parvareshgāh-e artist-e sinemā)  les films projetés sont encore majoritairement des films d’actualité essentiellement consacrés à la vie passionante du souverain. Puis, dès l’occupation conjointe du pays en 1941 par la Grande Bretagne et la Russie, apparaissent des films de propagande doublés en persan pour faire comprendre à l’opinion publique le point de vue des alliés. Le régime hitlérien ne fut pas en reste dans ce domaine en engageant Esmâ’il Koushân, le speaker de la radio iranienne libre, afin de doubler des films documentaires allemands. Ne pouvant rentrer en Iran du fait de son engagement auprès des nazis il continuera son oeuvre depuis Istambul où il doublera d’abord « Premier rendez-vous » une comédie française de Henri Decoin, qui s’appellera « La jeune fugitive » en version persane, puis, « La gitallina » de Fernando Delgado, connu pour ses scènes de danse, qu’il rebaptisera « La tzigane ».  Le 25 avril 1946 à son retour à Téhéran il organisera d’ailleurs une projection de ces deux films pour les notables de la ville. Nous sommes au début d’une période très prolifique d’importation de films étrangers qui seront tous doublés en persan et qui vont rencontrer un succès populaire de l’après guerre jusqu’à la Révolution Islamique et à n’en pas douter la langue persane à jouer un rôle primordial dans ce phénomène.

Début du cinéma en Iran

 

L’étude de l’histoire cinématographique du pays permet d’en comprendre trois phases essentielles : La première donc, allant des années 30 à la révolution, celle du « film persan », n’étant pas forcément la plus intéressante.

C’est un cinéma de divertissement populaire à l’oriental, utilisant les codes des cinémas indien, turc et égyptien, teinté d’un grand moralisme et reproduisant quasiment à l’identique un scénario, sans aucune emprise avec le réel, dans lequel les danses et les chants succèdent à des scènes de bagarres pour finir par un heureux mariage entre un « Louti » et la femme qu’il a pu sauvé, grâce à ses exploits, de la misère ou de la luxure à laquelle elle était vouée. On y oppose souvent le travailleur des campagnes si pure à d’odieux citadins corrompus.

Cette formule de fil-e fârsi (film persan) marquera pourtant pour longtemps le cinéma iranien car il s’agit des seuls films qui sont diffusés dans le royaume dans les 524 salles en activitées jusque dans les années 70.

Esmâ’il Koushân, toujours lui, fonda dès 1947 la première société de production iranienne, Pârs Film qui sera le principal studio de création jusqu’à la révolution islamique. Il y produit le premier mélodrame parlant iranien « La tempête de la vie » (Toufân-e Zendegi) qui sera annonciateurs du succès de ce style cinématographique dans le pays. L’engouement pour le 7ème art fut tel dans le pays que de nombreuses salles ouvraient en provinces, dans lesquelles on pouvait compter jusqu’à 6 séances quotidienne. Plus de 8 studios de doublage co-existaient dans la capitale, concurrencés par celui de Alex Aghâbâbiân, un arméno-iranien qui depuis l’Italie va doubler de nombreux succès d’origine transalpine.

En 1959 on compte plus de 180 films doublés projetés dans le pays où l’on recense plus de 22 sociétés de production. Cet art du doublage va contribuer au succès populaire du cinéma à tel point que même les films produits en Iran y auront le droit afin de palier aux nombreux problèmes techniques rencontrés lors du tournage, que ce soit par un doublage par les acteurs eux mêmes ou par une post synchronisation par des doubleurs professionnels. Ceux-ci officiaient déjà pour les productions étrangères et notamment les westerns pour lesquels ils faisaient preuve d’un certain talent pour adapter les paroles « exotiques » au contexte local. Il ne faut pas oublier aussi que le pouvoir politique allait trouver dans cet art populaire doublé en persan un moyen de promouvoir une langue officielle commune, dans cette même optique le persan sera utilisé comme langue principale à la télévision iranienne.

 

le film persan

Si c’est bien, on l’aura compris, la Révolution islamique qui va modifier définitivement la face du cinéma iranien, il y a eu, ne l’oublions pas, quelques films marquant dès les années 60 jusqu’à l’époque pré-révolutionnaire qui vont enclencher, en quelque sorte cette transformation, un peu à l’image de celle que traverse le pays et ses institutions. Il s’agit là d’une première phase distinctive en cela qu’elle se définit elle même de la sorte. Ce cinéma « différent » (cinemâ-ye motafâvet) apparait donc dans les années soixante. Il s’agit d’un cinéma sérieux ou d’auteur, plus intellectuel dont les réalisateurs sont d’une part des bons connaisseurs de la littérature iranienne et internationale mais aussi du cinéma mondial, de ses codes et de ses techniques, car pour la plupart ils ont fait leurs études à l’étranger. La qualité tant des scripts que de la fabrication des films sur un plan technique s’améliore grandement à cette époque.

 

la « naissance » du cinéma iranien?

Première figure de cette « nouvelle vague iranienne », le réalisateur Farrokh Ghaffâri qui fut l’assistant de Henri Langlois et va d’ailleurs fonder la cinémathèque iranienne. En 1964 il s’inspire des « Milles et une nuits » pour réaliser « La nuit du bossu » (Shab-e Ghouzi) une comédie qui dénonce l’hypocrisie de la société et qui reçoit les honneurs du public et de la critique notamment de Hajir Dârioush (également réalisateur) qui n’hésite pas à écrire qu’il s’agit là de « la naissance du cinéma iranien ».

Aux côtés de Ghaffâri et de Dârioush on trouve, dès 1963, le poète Fereydoun Râhnamâ réalisateur de « Siâvosh à Persépolis » ou un an plus tard, l’écrivain Ebrâhim Golestân avec « La brique et le miroir« , premier film à s’attaquer à la situation miséreuse des classes populaires mais surtout à dépasser le cliché habituel de l’image de la femme qui, jusque là était soit vertueuse soit impudique, à la manière dont on opposait aussi l’urbain au rural.

Cette période prérévolutionnaire voit aussi la création de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (Kânoun), un centre éducatif et artistique dont la section cinéma accueille notamment Bahrâm Beyzâ’i ou Abbâs Kiârostami. Ce dernier va y réaliser de nombreux courts métrages dont « Le pain et la rue » en 1970 ou « La récréation » l’année suivante.

Deux films vont particulièrement marquer les iraniens et les messages qu’ils véhiculent ne sont surement pas étrangers à leurs succès populaires : « Gheysar » de Massoud Kimiâi et « La vache » (Gâv) de Dârious Mehrju’i, une adaptation d’une nouvelle éponyme de l’écrivain Gholâmhossein Sâ’edi. Les deux films, à leurs manières, sont des appels à un changement de régime et une critique forte du déshonneur de la société.

Les années 70 verront apparaitre beaucoup de chef d’oeuvres du cinéma iranien dont certains sont notamment des hommages au cinéma français et à sa nouvelle vague et qui obtiendront des récompenses internationales. Ainsi  « Les Mongols » de Parviz Kimiâvi ou « Un simple événement » puis « Nature morte » de Sohrâb Shahid-Sâles (Ours d’argent à Berlin en 1975) succèdent aux autres créations de Kimiyâi « Rezâ le motard » puis « Dâsh Akol« , ou celle de Mehrju’i « Monsieur naïf » et enfin l’excellent « Adieu camarade » de Nâderi.

La vache

 

Cette « nouvelle vague » iranienne est le fait de quelques réalisateurs qui vont quitter le syndicat officiel de la profession, mis en place dès 1964 pour créer, le groupe des réalisateurs progressifs. Et si l’on devait n’en garder qu’un pour comprendre la société iranienne de l’époque prérévolutionnaire ce serait surement « La tranquillité en présence des autres » réalisé en 1974 par Nasser Taghvâ’i. Le film, qui sera censuré et interdit pendant quatre ans, une adaptation d’un nouvelle de Sâ’edi, raconte la déshérence d’une famille et de son entourage qui sombre dans la débauche à l’image de l’Iran de l’époque. Désormais la censure et l’ambiance politique marquent non seulement un déclin dans la production cinématographique (malgré les sorties du « Cercle » de Mehrju’i en 1978 ou un an auparavant des « Endoloris » de Ali Hâtami) mais c’est en fait à la mort « d’un certain cinéma » iranien que l’on assiste car celui qui va lui succéder après la révolution sera bien différent.

Cette période aura vu la réalisation de près d’un millier de film se réclamant de cette nouvelle vague, dont un grand nombre sont surement des chefs d’oeuvres malheureusement inconnus en occident.